Par : Kamel Zaiem

Depuis son dernier discours à Sidi Bouzid, il semble changer de tactique. On s’y attendait et Kaïs Saïed n’a pas manqué de nous le rappeler.

Encore une fois, l’officiel, la logique et la bonne gouvernance se font accompagner d’un populisme qui risque de devenir le slogan officiel du palais de Carthage.

Des comptes à revisiter

Le président de la République a supervisé, avant-hier jeudi, le Conseil des ministres. Il a, à l’occasion, exigé un audit minutieux de tous les prêts et dons accordés à la Tunisie durant les dernières années, selon le communiqué de Carthage.

Certes, ces dons ont beaucoup fait couler de l’encre et de la salive, mais le mal est déjà fait puisque les probables détournements ont déjà eu lieu et il sera très difficile de récupérer une part de cet argent.

Toutefois, il est toujours intéressant de savoir la vérité autour d’un dossier qui suscite beaucoup d’intérêt et de curiosité, d’autant plus que certains dérapages étaient déjà dévoilés, comme l’affaire du don chinois, totalement versé dans le compte bancaire de Rafik Bouchlaka, le gendre du cheikh Rached Ghannouchi.

Pour tous les dossiers de la corruption, il faut passer avant tout par la justice

 Plusieurs autres questions ont été abordées lors de ce conseil et qui méritent d’être mentionnés, notamment le projet de décret sur les délais d’examen des rapports de la Cour des comptes sur les élections. Le chef de l’Etat a également ordonné à la ministre de la Justice la préparation d’un projet de décret sur le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il a, dans ce sens, déploré les lenteurs administratives jugeant insensé le fait de rendre des décisions sans effets juridiques et a sommé les juges d’appliquer la loi à tous et sur un même pied d’égalité. A ce propos, on ne peut que louer cette initiative et la soutenir pour que justice soit faite dans une parfaite équité.

Place aux purges !

Mais ça où ça grince, c’est lorsque le Président de la République appelle, lors d’une aussi importante réunion gouvernementale, les « patriotes honnêtes » à purger le pays en éliminant ceux qui ont porté atteinte à l’Etat et au peuple.

Ce n’est sûrement pas du ressort des simples citoyens de se faire justice, prétextant un appel présidentiel à agir contre ceux qui sont soupçonnés, à tort ou à raison, d’avoir mis la main sur l’argent du peuple et celui de l’Etat.

Certes, les opposants de Saïed en ont profité pour mettre en exergue les propos présidentiels et ses appels à la « guerre civile » entre les citoyens ordinaires et ses pilleurs, mais il faut reconnaître que de tels discours ne servent en rien ni le peuple, ni la justice, ni l’Etat, et offrent de la matière aux opposants du coup constitutionnel du 25 juillet 2021 qui « savourent » à chaque fois les excès décelés dans les interventions de Kaïs Saïed.

Il est vrai que le Président peut toujours s’enorgueillir du soutien sans faille d’une large majorité des Tunisiens, mais il n’est pas obligé de régler ses discours en fonction du desiderata du citoyen lambada et des revendications exagérées de certains.

De la suite dans les idées

Il ne s’agit pas d’une première puisque Saïed a adopté quasiment le même discours lors de sa dernière visite à Sidi Bouzid. C’est à travers ses appels populistes que les Tunisiens n’ont pas le droit de citer le 14 janvier 2011 comme date mémorable du soulèvement qui a provoqué la fuite de Ben Ali car la logique présidentielle nous exige de ne retenir que la date du 17 décembre 2010.

C’est à travers ce même discours que les Tunisiens ont appris à mettre tout le monde dans le même sac. Ainsi, tous les partis politiques sont censés être inutiles et pourris, alors que tous les députés et les hommes d’affaires sont des voleurs, des corrompus et des vendus.

Et lorsque Saïed appelle ces mêmes citoyens à participer à la purge, on ne peut que nous étonner de cette grave légèreté qui pourrait conduire à des conséquences dramatiques.

Nous sommes dans un pays où la justice demeure récupérable malgré ses torts et ses vices et tous ceux qui s’avèrent impliqués dans les dossiers de corruption doivent être jugés. C’est à travers la justice qu’on doit le faire et pas en usant de ces fameuses purges citées par le président de la République.

Le pays a besoin, aujourd’hui, d’actions positives et pas de polémiques, de règlements de comptes et de réactions populistes. Ce que veut le peuple, c’est l’instauration d’une réelle justice, mais également la mise en place de programmes économique, social et politique à la mesure des attentes.

K.Z.