Par : Kamel Zaiem

Le monde évolue, mais pas toujours dans le bon sens. Les Tunisiens ne connaissaient rien, ou presque, de l’islam politique avant le 14 janvier 2011. Ils venaient de renverser Ben Ali, un dictateur qui n’avait imposé aucune doctrine à part celle de la privation de certaines libertés, parfois essentielles comme la liberté d’expression, avec, en parallèle, une économie blindée et pimpante et un pouvoir d’achat relativement acceptable.

Il a fallu attendre le retour tonitruant des nahdhaouis, à partir du 15 janvier 2011, pour comprendre le leurre et entrevoir  ce qui attend le pays à travers ce fameux islam politique, un cadeau offert par les Etats-Unis, Israël et leurs complices pour permettre aux extrémistes religieux tunisiens, dont les hauts cadres vivaient en exil, de s’installer au pouvoir grâce à des campagnes très juteuses et généreuses pour attirer un grand nombre de partisans et tenir les rênes à travers un système politique inédit, imposé par un Parlement devenu maître du jeu à tous les niveaux.

Les islamistes qui ont pillé l’Etat ne bénéficient plus du soutien de l’Occident

Plus de place aux missionnaires

Aujourd’hui, on commence déjà à faire le deuil de cet islam politique puisque ses initiateurs, les Américains en tête, n’en veulent plus. Les nahdhaouis, qui pensaient s’éterniser encore au pouvoir, n’en reviennent pas. Bousculés puis éjectés par Kaïs Saïed, ils croyaient pouvoir le contrer avec l’aide américaine, avant de se trouver face à une nouvelle réalité : ils ne sont plus les « chouchous » de l’Occident et ses missionnaires les plus gâtés.

Est-ce la fin de la traversée du désert pour un pays qui a trop souffert de ces dix années d’islam politique ? La suite ne s’annonce pas aussi prometteuse ou garante d’un avenir meilleur. Kaïs Saïed a pris la relève avec son coup constitutionnel du 25 janvier 2021, mais il n’a pas trop perdu son temps puisqu’il détient, aujourd’hui, grâce aux mesures exceptionnelles annoncées, la totalité des pouvoirs et c’est lui qui va être l’architecte et le cerveau de la nouvelle option politique de la Tunisie.

Le doute est bien là…

Les Tunisiens, qui ont collectivement fêté ce coup, étaient finalement soulagés de pouvoir se débarrasser des islamistes et du désastre qu’ils ont causé au pays. Toutefois, ils ont adhéré à l’initiative de Saïed sans trop penser à ce que le futur leur réserve.

Aujourd’hui, c’est le doute qui commence à s’installer. La période des mesures exceptionnelles s’étire sans laisser entrevoir ses limites et le Président, qui jouit encore de la confiance de son peuple, commence à jongler avec des projets idéologiques qui ne manquent ni de mystère, ni de flou.

C’est que les réelles urgences tardent à être au menu du jour. Avec une économie agonisante, la Tunisie se doit, avant tout, de mettre les pendules à l’heure concernant ses finances et ses futurs programmes économiques. Or, du côté du palais présidentiel, d’autres priorités sont à l’ordre du jour, notamment une énigmatique lutte contre la corruption qui s’opère à la tête du client et qui ne touche pas, du moins pour le moment, ceux qui ont gouverné pendant la dernière décennie, particulièrement les nahdhaouis, qui continuent à être épargnés pour ne pas dire protégés. Et comme le rappelle l’un des éminents observateurs politiques, Il est certain que « les affaires de corruption et de prévarication, de pillage et de brigandage accumulées durant la décennie noire se comptent par dizaines de milliers. Mais leur traitement nécessite une mobilisation massive de la justice et non une dénonciation coléreuse, populiste, servie quotidiennement au peuple au JT de 20 heures avec les mêmes images d’un président déchaîné et d’un invité appelé à écouter et à subir ». 

Et comme le craignaient certains connaisseurs et analystes, Saïed a déjà entamé une nouvelle phase de « mobilisation morale » pour ne pas dire lavage de cerveau afin de faire connaître les principes de sa fameuse doctrine de « démocratie de base » et il suffit de se référer aux dernières déclarations de l’un de ses lieutenants pour s’en dissuader.

Ridha Lénine, l’ami de Saïed, parle déjà de la démocratie de base et des ennemis du peuple

Ennemis du peuple

Ainsi, dans un « post » publié sur sa page officielle, Ridha Mekki, alias « Lénine », le fidèle ami et serviteur de Saïed, estime que « le projet de construction de base ou de démocratie de base, qui s’intitule dans la campagne explicative du Président de la République « le peuple veut », n’a pas besoin de convaincre ses ennemis de sa pertinence et de son historicité(…). Il est temps de mettre fin à la confusion entre le droit de penser autrement et l’engagement au nom de ce droit, ouvertement ou secrètement,  contre les intérêts généraux du peuple. ». Voilà, le décor est bien planté. M. « Lénine » s’arroge le droit de parler au nom du peuple et d’incarner sa volonté. Il décrète implicitement que quiconque ne croit pas à ses schémas politiques est un ennemi du peuple.

C’est ainsi que s’annonce les lendemains d’un pays déjà paralysé et ruiné par le désastre de l’islam politique et qui se voit, à présent, menacé par une redoutable catastrophe populiste.

Saïed est bien président de la République, mais ce haut rang ne lui livre aucunement le feu vert pour imposer de force sa doctrine et il doit revenir à la volonté populaire et non populiste pour en discuter et surtout pour s’assurer l’aval d’un peuple qui ne veut plus subir sans le moindre droit de contestation.

K.Z.