Lundi soir, Hichem Mechichi, le chef du gouvernement et chargé du ministère de l’Intérieur, a rendu visite à la caserne des commandos de la Garde nationale à bir Bouregba où il a fait une revue des activités de cette unité et s’est renseigné de leurs conditions de travail ainsi que des équipements à leur disposition. Mechichi a tenu, par la suite, à partager avec les officiers et les agents de l’unité le dîner de l’Iftar.

L’information semble banale, mais pour les plus avertis des experts, il s’agit, tout simplement, d’une réplique à la visite effectuée par Kaïs Saïed aux forces armées du côté de Kasserine, au cours de laquelle, il a partagé un  » Iftar  » avec les unités de la garde nationale dans le parc de Chaâmbi, une zone militaire fermée.

Quelques semaines avant, le président de la République a effectué une visite surprise du côté du ministère de l’Intérieur où il s’est entretenu avec les hauts cadres et les agents avant de sillonner l’avenue Bourguiba en leur compagnie.

Et comme il fallait s’y attendre, Mechichi n’a pas mis beaucoup de temps pour lancer sa contre-attaque et aller lui aussi faire son show dans une caserne des forces de sécurité avec quasiment le même programme au menu.

Une silencieuse et dégradante bataille

La course effrénée pour mettre la main sur les forces de sécurité est engagée entre deux des trois têtes du pouvoir puisque Ennahdha, qui domine le Parlement, préfère évoluer à l’ombre sans faire trop de bruit avec un soutien sans faille à Hichem Mechichi qui doit garder son emprise sur le ministère de l’Intérieur, là où des secrets et de graves vérités continuent à être « enterrés ».

Et c’est Kaïs Saïed qui a donné le ton plus ouvertement sur cette silencieuse bataille lorsqu’il a déclaré, en présence de Hichem Mechichi et le cheikh Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha et le président du parlement, que la Constitution, grâce ses textes ambigus, met toutes les forces armées du pays sous le commandement du président de la République.

Quelques jours plus tard, Mechichi a annoncé la nomination de Lazhar Loungou, un ami des nahdhaouis, au poste de directeur des services spéciaux, lui qui a déjà étéle directeur central des renseignements avant d’être limogé par l’ex-ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine, un proche de Kaïs Saïed.

C’est dire que du côté de Carthage, comme celui de La Kasbah via le Bardo, on préfère jouer au chat et à la souris avec des offensives et des contre-offensives à répétition sans se soucier de la nécessité d’œuvrer pour l’intérêt général.

Ah, cette constitution !

Le constat est désolant et augure de lendemains très incertains. D’un côté, un chef de gouvernement déterminé à protéger les intérêts des partis au pouvoir au Parlement qui constituent sa ceinture politique pour demeurer au poste et même pour viser encore plus haut à l’avenir, et de l’autre côté un président de la République qui a décidé d’engager sa bataille dans les sables mouvants de la Constitution et de son interprétation « à la carte ».

Du coup, le pays se retrouve encore une fois pris en otage par ses têtes du pouvoir et leurs desseins et fantasmes.

A Carthage et comme à l’instar de son prédécesseur Béji Caïd Essebsi, Kais Saied n’a pas fait mystère de l’incommodité que lui vaut le peu de prérogatives que lui reconnaît la Constitution promulguée en 2014, le cloîtrant dans la portion congrue d’un pouvoir dont l’essentiel va à l’autre tête de l’Exécutif et plus encore au Parlement. Sans devoir aller leur grignoter quelques attributions, c’est dans les textes solennels de la République qu’il pense avoir trouvé la totale et entière légitimité de devenir le président qu’il veut être.

En face, Mechichi et ses parrains islamistes tiennent à un système politique qui offre la majorité des prorogatives essentielles au Parlement comme convenu dans la Constitution qui dit tout et son contraire et qui s’avère, ainsi, un cadeau empoisonné offert au pays.

Il n’en faut pas plus pour réveiller nos vieux démons et de sinistres souvenirs de triste mémoire. Guerre de tranchées et de mouvements pour déloger ses adversaires qui entonnent à leur tour le chant de la légalité constitutionnelle et jettent dans la bataille les premiers de cordées et les seconds couteaux, les auxiliaires de services, les mercenaires et jusqu’aux repentis de la 25ème heure avec, en sus, un lynchage médiatique en règle. C’est le degré zéro de la morale et de la politique aux relents nauséabonds. Jusqu’ à crever le mieux de l’indécence, de l’honneur et de l’incivisme.

Jusqu’où ira cette sale guerre de positions et de prérogatives ? Rien ne dit qu’il s’agit d’une simple et éphémère échauffourée…

K.Z