Par : Kamel Zaiem

A l’occasion de l’Aïd el Fitr, les Tunisiens ont eu droit à des gestes présidentiels conciliants et moins tendus. Serait-ce un signe positif de rapprochement ? Rien n’est moins évident…

Une fois n’est pas coutume, Kaïs Saïed, Hichem Mechichi et Rached Ghanouchi ont échangé les vœux de l’Aïd, laissant les observateurs et les habitués du paysage politique se confondre dans des analyses qui se veulent positives mais qui demeurent encore énigmatiques.

A croire le député Hafedh Zouari, le vice-président du parti Al Badil Ettounsi, il s’agit d’un signe positif : « C’est ce dont la Tunisie a besoin aujourd’hui. L’échange de vœux entre le président de la République, le président du Parlement et le chef du gouvernement, est un message positif à l’adresse du peuple tunisien en ces circonstances. J’espère que cela puisse être un indicateur de la volonté des trois présidences d’aller au-delà de leurs divergences et joindre leurs efforts pour la Tunisie ». 

Le député fait preuve, à travers sa propre vision des choses, d’un optimisme béat et démesuré que beaucoup d’autres ne partagent pas.

Une conciliation « à l’américaine » ?

D’autres hommes politiques ont fait part de leur satisfaction, mais ils y voient d’autres explications qu’un simple désir partagé d’entente et de rapprochement. Pour Mabrouk Korchid, le député démissionnaire de Tahya Tounes et ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, ce « câlin » politique n’aurait pas eu lieu sans l’intervention des Etats-Unis. Il considère que l’entretien téléphonique qu’a eu Kaïs Saïed avec Kamala Harris,   la vice-présidente américaine, a porté ses fruits puisque Washington tient à rétablir la communication entre les trois présidences en Tunisie.

Peut-on, dès lors, croire vraiment à une meilleure coopération et à une probable lune de miel entre Saïed, Mechichi et Ghannouchi ?

Du côté de Carthage, on voit mal le président de la République renoncer aussi facilement à des prorogatives plus élargies, lui qui se considère, à travers ses discours chargés de références coraniques, prêche, et poésie arabe, comme le principal commandant de bord de l’Etat. Il s’est toujours investi en véritable conquérant, même si la manière laisse à désirer, et un changement de ton ne peut que tout remettre en question.

Dans l’autre camp, s’agit-il vraiment d’une main tendue vers Kaïs Saïed et quel en sera le prix ?

Mechichi grand perdant

A vrai dire, Hichem Mechichi pourrait bien payer très cher un tel scénario, lui qui a trahi la confiance de son « patron » et qui ne peut s’imposer à son poste qu’avec le soutien d’Ennahdha et ses alliés. Car, si les islamistes vont se soumettre aux désirs des Américains, ils vont sûrement faire des concessions qui doivent réconforter Saïed et mettre sur la voie de sortie l’actuel chef de gouvernement.

Et si Saïed a juste échangé les messages de vœux de l’Aïd avec Mechichi, la reprise de contact a été plus prononcée avec le président du Parlement à travers une discussion téléphonique qui a porté, selon le communiqué officiel, sur la situation du pays, mais qui pourrait avoir touché à d’autres sujets et dossiers plus importants et ciblés.

D’ailleurs, le cheikh Rached Ghannouchi s’est montré satisfait du contenu du discours du président de la République à l’occasion de l’Aïd, d’autant plus qu’il a été avare, cette fois-ci, en fléchettes et messages codés. Le leader nahdhaoui s’est même montré plus ouvert sur de nouvelles options pour son parti, lui qui a déclaré, il y a quelques jours, être prêt à rencontrer le président égyptien Abdel Fattah al Sissi, ce qui laisse attendre un revirement très important pour un parti issu du mouvement des Ikhwans.

Gare à l’euphorie

Dans le contexte actuel, alors que le pays est envahi par une troisième et virulente vague de Covid-19 et alors que les clignotants économiques demeurent tous au rouge avec un taux de chômage qui a encore grimpé et des discussions qui risquent de prendre beaucoup de temps avec le FMI, une brise de sagesse, de patriotisme et d’apaisement sera la bienvenue pour un peuple gagné de plus en plus par le découragement et le désespoir.

Pour le moment, les Tunisiens retiennent leur souffle et croisent les doigts. Le pays a besoin, pour sortir de la crise, d’une relance basée sur une union sacrée sans détours ni règlements de comptes 

Alors que la scène politique, polluée et envenimée, se doit d’être « désinfectée ».

Le fameux rapprochement dont on parle va-t-il se confirmer lors des prochains jours ?

Nous l’espérons vivement, mais la prudence doit être de mise avec des politiciens peu enclins à sacrifier leurs intérêts étroits et à respecter les principes nobles du pouvoir.

k.z