Par : Kamel Zaiem

Après une longue attente, Kaïs Saïed s’est finalement manifesté. Normalement, ça ne peut que rassurer les Tunisiens, mais ce que nous avons entendu et vu n’a fait que prolonger le sentiment d’incertitude et de crainte.

Pourquoi aller à Sidi Bouzid lorsqu’on s’adresse à tout un peuple ? Certes, c’était l’une des régions où les premiers éclats du soulèvement populaire ont été lancés, mais dans d’autres villes, à l’instar de Thala, il y avait déjà des martyrs avant Mohamed Bouazizi.

Le président de la République à Sidi Bouzid à son slogan « Le peuple veut », mais ce même peuple lui a préparé le terrain pour agir et tenir solidement les rênes au Bardo le 25 juillet 2021. C’est dire que le peuple a partout voulu se débarrasser de ceux qui ont monopolisé le pouvoir pendant une décennie pour détruire tout un pays.

Un jonglage inutile

On s’attendait à un discours présidentiel pertinent pour éclairer nos lanternes et nous montrer la voie empruntée pour mettre fin au cauchemar qui dure depuis dix ans. Or, Saïed a réservé les trois quarts de son show aux règlements de comptes, aux messages codés destinés à ses adversaires et aux énièmes accusations de tentatives d’assassinats sans nous révéler ni noms ni partis.

Pis encore, ce discours a davantage divisé les Tunisiens avec ce triste et inepte jonglage entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011. Va-t-il annoncer, une fois confortablement installé à Carthage, un jour férié le 17 décembre pour Sidi Bouzid et un autre, le 14 janvier, pour le reste du pays ?

Le 14 janvier 2011 ne doit pas être enterré

De même, entendre le Président de la République minimiser ce qui s’est passé le 14 janvier 2011 et prétendre que le gigantesque rassemblement populaire à l’avenue Habib Bourguiba à Tunis n’a servi qu’à avorter la révolution déclenchée à Sidi Bouzid le 17 décembre 2010, est une grave atteinte à la bonne volonté des citoyens qui ont daigné défier le dictateur et ses forces armées et à la contribution des composantes de la société civile, l’UGTT en tête, à soutenir ce soulèvement populaire avant de voir d’autres acteurs politiques, de l’intérieur comme de l’extérieur, confisquer cet acquis pour venir s’installer à la tête du pouvoir et imposer aux Tunisiens la loi de ce maudit printemps arabe.

Ce que veut le peuple…

Après tout ce qui s’est passé le samedi et les tentatives de résistance de la part des forces politiques qui étaient au pouvoir et qui refusent d’abdiquer, nous nous attendions à une forte réplique de Kaïs Saïed à travers des décisions qui accélèrent le changement, révèlent ses véritables desseins et neutralisent tous ceux qui ont fait du mal à ce pays.

Ce que le peuple veut, c’est de vois ses bourreaux rendre des comptes, ce qui n’est pas encore le cas…

Ce que veut le peuple, c’est dévoiler la vérité sur les assassinats politiques qui demeurent impunis depuis plus de huit ans…

Ce que veut le peuple, c’est la mise en application de l’article 168 de la Constitution concernant les partis qui ont eu recours au financement étranger lors des élections législatives et présidentielle de 2019, d’autant plus que le rapport de la Cour des comptes a tout révélé…

Ce que veut le peuple, c’est ouvrir les dossiers chauds liés à Ennahdha et à son aile militaire secrète ainsi que l’envoi de jeunes jihadistes en Syrie. Aujourd’hui, tout est dévoilé, mais les coupables ne sont pas encore inquiétés…

Ce que veut le peuple, c’est neutraliser ces mafias qui continuent à piller les richesses du pays et à appauvrir un peuple dont le pouvoir d’achat est au plus bas…

Ce que veut le peuple, c’est passer des discours aux actes au lieu de ruminer les mêmes messages et menaces…

Quelle alternative pour le système parlementaire ?

Quel système politique adopter ?

Ce que veut le peuple, c’est de voir Saïed nommer dans les plus brefs délais un chef de gouvernement et annoncer ce qu’il compte faire pour changer le système politique et modifier la Constitution. Les prochaines actions du Président se doivent d’être plus claires et moins populistes.

Saïed a annoncé que les mesures exceptionnelles allaient se poursuivre et que des dispositions transitoires ont été mises en place. Toutefois, le peuple veut également savoir comment son président compte s’en sortir et quel système politique compte-t-il adopter pour ne pas dire imposer. Car, les citoyens, ceux qui ont voté pour Saïed inclus, craignent de voir leur sauveur basculer dans le royaume de ses ambitions et devenir un « président mégalomane », enivré par le soutien populaire jusqu’à oser faire cavalier seul, ignorer les principes de concertation, comme c’est le cas pour le moment, et imposer les principes de gouvernance qui lui sont propres et qui risquent de ne pas convaincre aussi bien ses partisans actuels que le reste de la population.

Entre ce que veut le peuple et ce que veut faire Saïed, la distance risque d’être plus marquante qu’elle en donne l’impression. A présent, la balle est dans son camp pour dissiper les craintes, rassurer et se montrer digne de la large confiance placée en lui.

K.Z.