Par Soufiane Ben Farhat

Comme escompté depuis quelques jours, le président de la République Kaïs Saïed a franchi le Rubicon. Il a édicté et fait promulguer hier au Journal Officiel un décret portant organisation provisoire des pouvoirs publics. Ce n’est pas dans l’intitulé mais c’est tout comme.

En deux temps et trois mouvements, il enterre pratiquement tout le système hérité de la Constitution de 2014. Du coup, celle-ci se réduit à un état végétatif mais, paradoxalement, encore fonctionnel.

La Constitution en pointillé

Pourtant, Kaïs Saïed semble sélectif en la matière. En effet, le décret garde expressément le préambule de la Constitution, ses premier et deuxième chapitres et toutes les dispositions constitutionnelles qui ne sont pas contraires aux dispositions du décret Présidentiel.

D’ailleurs, le décret énumère son propre exposé de motifs et sa finalité. En effet, il considère que le fonctionnement des pouvoirs publics a été entravé et que le péril est devenu non pas imminent, mais réel, notamment au sein de l’Assemblée des représentants du peuple. Par ailleurs, il édicte que le principe que la souveraineté appartenant au peuple, si le principe s’oppose aux procédures de son application, la prééminence du principe sur les formes et les procédures s’impose. Quant à la finalité des révisions prévues dans le décret, elles s’énumèrent clairement. A savoir, « l’établissement d’un véritable régime démocratique dans lequel le peuple est effectivement le titulaire de la souveraineté et la source des pouvoirs qu’il exerce à travers des représentants élus ou par voie de référendum. »

Finalités exposées

S’ensuit un autre paragraphe non moins étayé. En effet, il précise que « ce régime repose sur la séparation des pouvoirs et l’équilibre réel entre eux, consacre l’Etat de droit et garantit les droits et les libertés publiques et individuelles et la réalisation des objectifs de la révolution du 17 décembre 2010 relatifs à « l’emploi, à la liberté et à la dignité nationale. » Lesdits projets de révisions sont soumis par le président de la République pour approbation par référendum.

En somme, le Parlement semble pratiquement dissous, sans formalités expresses. De son côté, la Constitution devra faire l’objet de révision substancielle. Le décret précise bien que les compétences de l’Assemblée des représentants du peuple demeurent suspendues. Il rappelle également que l’immunité parlementaire de tous les membres de l’Assemblée des représentants du peuple demeure levée. Last but not least, le décret metfin à toutes les primes et tous les avantages octroyés au président et aux membres de l’Assemblée des représentants du peuple.

Cumul des pouvoirs, gouvernement du Président

Pour l’heure, Kaïs Saïed cumule la présidence de l’exécutif avec toutes les prérogatives législatives non susceptibles d’aucune forme de recours en annulation. D’ailleurs, le décret dissout préventivement l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi.

Côté gouvernement, un chef de gouvernement responsable devant le seul président de la République sera nommé incessamment. Pourtant, c’est le président de la République qui préside le conseil des ministres. Et en cas de vacance à la présidence de la République, le chef du gouvernement lui succède automatiquement.

Bien évidemment, il s’agit d’une remise en cause fondamentale du système politique issu de la Constitution de 2014. Celle-ci est elle-même en voie d’être profondément remaniée.

Pour l’instant, c’est la confusion des pouvoirs qui sévit, en régime d’exception. Et, surtout, il n’y a guère de contrepouvoir prévu. En plus, aucune limite de temps de l’état d’exception n’est envisagée actuellement. Également, il n’y a aucune référence fut-elle implicite à l’opposition.

Un débat âpre et cruel s’annonce

De prime abord, Ennahdha, ses satellites et ses pare-chocs sont les plus grands perdants. En effet, ils ont occupé le pouvoir jusqu’ici. La Constitution semble avoir été conçue pour les éterniser. De même, les hautes instances comme celle des élections, de l’audiovisuel ou le Conseil supérieur de la magistrature semblent eux aussi en susrsis. Le décret d’hier en réfère expressément à leurs domaines d’exercice dans les nouvelles prérogatives législatives du président de la République.

Dès hier, l’opposition a déjà commencé à crier au loup. Le débat ne semple guère épuisé. Il commence. Et promet d’être âpre, sinon cruel.

Kaïs Saïed semble un homme devant son destin. Il ne reculera pas. Il surfe sur la vague du dégoût populaire de l’establishment et de tous les politiciens ayant occupé jusqu’ici les devants de la scène. En plus de larges franges de l’opinion, il a avec lui l’armée et la police. Et, bientôt, son propre gouvernement.

Mais les risques et périls existent, à tous les niveaux. Nous y reviendrons.

S.B.F