Par: maître Ibrahim Belghith

Parler d’Etat de Droit en Tunisie aujourd’hui pour ceux qui s’intéressent à l’actualité juridique tunisienne ou même à la plupart de citoyens tunisiens pourrait paraitre de l’ordre de la fiction ou de la caricature tellement on a cumulé les atteintes et les violations à ces principes ; d’autres pourraient le taxer de luxe intellectuelle ou théorique puisque c’est plus vraiment une priorité dans la vague populiste qui fait le procès à la démocratie représentative et ils soutiennent  qu’il faut sacrifier les droits de l’homme à caractère civile et politique pour garantir et promouvoir ceux à caractère économique et sociale et considéré ce raisonnement comme un argument de taille pour légitimer le changement opéré le 25 juillet 2021 par le président Kais Said ,même si force est de constater qu’on a fini à un fiasco sur les deux niveaux ou catégories des droits de l’homme sensé garantis constitutionnellement.

La constitution étant la norme juridique au sommet de la hiérarchie des sources de la loi, la garantie de sa suprématie et la conformité des lois et des conventions internationales ratifié par l’état est un enjeu de taille, c’est ce qu’on appelle le contrôle de la constitutionalité. Les choix des dispositifs permettant ce contrôle diffèrent d’un régime juridique à un autre ainsi ce contrôle peut être confié à un organe dont la composition varie selon les pays, il peut être une cour ou un conseil ,ces membres peuvent être élus ou désignés en leurs qualités ou en leurs personnes. La saisine de cet organe peut aussi varié selon les personnes de droit public que les lois autorisent à contester les projets des textes ou les procédures des relations entre les pouvoirs et leurs représentants ou toute autre compétence qui relève de la constitutionalité et qui échappe à la justice ordinaire judiciaire ou administrative ,ou selon qu’il s’agit de justiciables qui peuvent contester la constitutionalité des textes de loi déjà en vigueur que ce soit par voie d’exception ou par action directe .Sans s’attarder sur les détails des options et des procédures dans le Droit comparé on dirait que le contrôle de constitutionalité est le dispositif légale qui permet dans un ordre juridique donné de garantir la conformité avec la constitution et remédier aux cas de sa violation . Cette définition assez élémentaire ne doit pas cacher la délicatesse de la tâche qu’est le contrôle de constitutionalité, en considération des belligérants qui sont des plus puissants, car il s’agit des plus hauts représentants des pouvoirs publiques et en considération aussi de l’enjeu et l’effet des décisions qu’un organe de contrôle de constitutionalité peut prendre et qui est de même parfois à changer le cour de la vie institutionnelle ou politique. En effet qui contrôle la constitutionalité exerce un contre-pouvoir assez signifiant en traçant les limites des pouvoirs élus d’où l’asymétrie dans le développement historique entre la constitutionalité et le contrôle de la constitutionalité qui vient tardivement dans le temps. Malgré ce décalage temporel la relation entre la constitutionalité et le contrôle de la constitutionalité, les deux phénomènes juridiques restent néanmoins liés puisque le deuxième est le résultat logique et pratique du premier dans les expériences les plus respectueuses de l’Etat de droit. En Tunisie ce ne fut pas le cas pour cette relation quasi évidente entre constitutionalité et le contrôle de la constitutionalité. Le développement des deux concepts a été a vitesse spectaculairement variante et l’asymétrie est très nette. Historiquement le rapport des tunisiens avec la constitutionalité est très développé par rapport à ces voisins, outre la constitution de Carthage[1] dans l’antiquité et la constitution de 1861 connue comme « Doustour ahd el amen » qui a été octroyé par Mohamed Sadok Bey et qui traduisait en fait plutôt une réponse a des demandes des influentes forces étrangères qu’une cristallisation d’une conscience populaire des sujets du royaume. Cette première expérience quand même pionnière dans le monde arabo-musulman a été très brève puisqu’à la suite de la révolte de Ali Ben Ghedahem en 1964 le bey décide de mettre fin à cette constitution. Les revendications du mouvement patriotique d’ailleurs mené par le parti destourien c’est-à-dire constitutionnelle en arabe sont aussi un autre témoin sur ce rapport du tunisien avec la constitution et sa nécessité d’ailleurs le slogan des sanglantes manifestations du 09 avril 1938 était « barlamen tounssi » un parlement tunisien.

Après l’indépendance le bey a décrété l’élection d’une assemblée constituante bien que cette assemblée a été assujettit a une condition préalable qu’est élaborer une constitution pour le royaume et une condition postérieur l’apposition du sceau du bey[2] , l’assemblée élue a régularisé en quelque sorte les procédures en proclamant en premier temps la république [3]et en promulguant ensuite la constitution de 1959[4] qui était progressiste à plusieurs égards mais la question démocratique n’était pas vraiment le souci du nouveau régime c’est d’ailleurs une caractéristique de l’ère Bourguibienne.

Avec le changement du 7 novembre 1987 qualifié de coup d’état médicale la déclaration de Zine El  Abidin Ben Ali de la même date laissait croire qu’une ère d’ouverture démocratique est inauguré , le nouveau régime n’a pas opté pour modifié la constitution de 1959 bien que des amendements ont été apporté tout au long du règne de Ben Ali mais les vagues de repressions mené par ce régime anéantissent tout espoir à un Etat de droit sous son égide malgré tout l’effort de propagande.

L’attente était plus réaliste, il faut dire, après la fuite de Ben Ali en janvier 2011, après une gestation assez longue et chaotique, on optera sous la pression de différentes parties révolutionnaires et notamment le sit-in du Kasba 2 pour organiser l’élection d’une assemblée constituante qui aboutira après des houleuses épisodes a promulguer une constitution en 2014 avec un quasi consensus presque surréel de ces membres.

La constitution de 2014 était un texte dans l’ère du temps voir révolutionnaire coté droits de l’homme et assez innovant pour ce qui est organisation des pouvoirs publics et leurs relations seulement voila sa conception hybride de la chose a produit un système autobloquant et des institutions vulnérables.

En parallèle ou plutôt en asymétrie, l’histoire du contrôle de la constitutionalité n’a pas été de cette richesse. Bien évidement il n’était pas question pour la constitution de 1861 de régler le contrôle de la constitutionalité la notion même est encore inconnue en ce temps[5].

Pour la constitution de 1959 un silence de marbre du texte caractérise la matière, il faut dire que cette carence est presque endémique le texte de loi en est une chose son application est toute autre donc la constitution de 1959 sous la présidence de Bourguiba était tellement formelle que la question de contrôle ne s’est pas vraiment invitée dans la vie ou le débat public[6] comme si la constitution avait une nature déclarative et pas une norme de droit.

Il a fallu attendre la présidence de Ben Ali pour que la question se pose d’ailleurs elle n’a pas tardé juste après le 7 novembre 1987 le tribunal de 1ére instance de Kairouan a retenu une exception d’inconstitutionnalité de la loi des parties et des associations avant que l’arrêt ne soit cassé par la Cour de cassation[7]. Le nouveau régime voulait bien montrer patte blanche, que ce soit à l’intérieur qu’à l’extérieur, la question de constitutionalité refait surface suite à cette jurisprudence. Le régime conscient que le maintien du tabou n’est plus opportun réagit en créant le conseil constitutionnel par décret.

Le conseil constitutionnel est créé par le décret présidentiel 1414 /1987 en date du 16 décembre 1987. la modestie  de sa forme (décret  présidentiel) reflétait la modestie de sa teneur c’est une simple  structure consultative dont certains n’ont vu qu’un vain décor et d’autre plus optimistes ont considéré un premier pas [8]malgré le progrès que le conseil a connu des textes par étape lui dotant de plus  en plus d’influence comme la loi constitutionnelle du  6 novembre 1995 , celle du27octobre 1997   et celle du 1er juin 2002 et même si certains juristes ont soutenu que ça garantissait relativement les droit essentiels[9]. La réalité a prouvé que le control de ce conseil était parodique comme d’ailleurs le fonctionnement des autres institutions de l’état qui étaient exploité que comme des appareils du système renversé une autre fois le 14janvier 2011[10].

La période de transition démocratique de 2011 à 2021 a été prometteuse sur le plan du contrôle de constitutionalité avec d’une part une jurisprudence surtout administrative[11] téméraire qui ose occasionnellement se proposer comme compétente pour le contrôle de constitutionalité et exercer cette fonction bien que ça démarche a été critiquable a bien des égards[12]  . C’est la législation d’autre part qui formera l’évènementiel en la matière ainsi trois texte sont promulgués tout d’abord la constitution en 2014 [13]qui instaure une Cour constitutionnel et une instance provisoire pour le contrôle des projets de lois [14]et ensuite en application la loi organique n°14 /2014 du 18 avril 2014 est promulgué pour l’instance provisoire et en fin la loi organique n°50/2015 du 03 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle. Sans s’attarder sur les détails[15] on dira qu’on n’a jamais été si proche d’avoir une Cour constitutionnelle qui a été la victime de l’importance des ces prérogatives qui peut expliquer les tractations politiques et l’hésitation voir l’absence de volonté politique pour l’instaurer au début par l’assemblée des représentants du peuple et puis par le président de la république qui a interrompu tout simplement le processus malgré le besoin [16]. Quant à la l’instance provisoire, elle avait des prérogatives très restreinte et un accès très étroit ce qui a fait son rendement assez faible aussi bien quantitativement que qualitativement.

Le 25 juillet 2021 le président Kais Said a procédé tout simplement à un changement inconstitutionnel du pouvoir en prétendant l’application de l’article 80 de la constitution de 2014 ce qui s’annonçait comme une brève période d’exception s’est avérée une transition et la constitutionalité et son contrôle sont toujours dans l’œil de la tournade. On se propose d’étudier la question chronologiquement pour distinguer deux temps ou deux phases de cette transition autocratique ou apostasie démocratique dans un premier temps le président de la République s’est adonné à la destruction des acquis vulnérables (I) la deuxième phase semble être de bâtir ou plutôt restaurer un ancien modèle (II) puisqu’elle n’inspire qu’un sentiment de déjà-vu ou plutôt subi.

I. DETRUIR

L’action destructrice de Kais Said[17] aussi bien contre la constitution que contre le peu de contrôle de constitutionalité ,n’était pas sans signes prémonitoires dés la compagne présidentiel il a annoncé la couleur en critiquant sans merci le système de l’organisation des pouvoirs publiques et affirme ne pas avoir un programme électoral au sens commun sauf des concepts vagues qi semblent d’ailleurs irréel de construction de bases ou l’édification de bases qui consisterait a la restauration du pouvoir du peuple au peuple, sans corps intermédiaire ,profitant de son image de personnalité antisystème et galvanisant ses électeurs avec des slogans de anticorruption et d’antisionisme, le président Kais Said l’assistant en Droit public qui devenait après la révolution un personnage médiatique atypique avec un arabe juridique et des leçons de droits, il passait pour l’expert académique intransigeant. Une fois élu, son irrespect de la constitution c’est manifesté plusieurs fois notamment[18] pour son refus du texte qui aurait faciliter l’élection des membres de la Cour Constitutionnelle[19] sous prétexte de déchéance de délais légales et pour son abstention a nommer les ministres d’un remaniement légalement voté par l’assemblé législative , il a refusé même qu’il prêtent serrement ce qui a aggravé la crise politique entre lui d’une part et le chef du gouvernement et la majorité de l’assemblé et son président d’autre part. Kais Said menaçait tout le temps de missiles sur la rompe de lancement et malgré un scoop de la magasine Middle east eye[20] ou il détaillait même un scénario de coup d’état , le président de la république parvient a mener à bien sans coup d’état après une journée de contestations de quelques milliers de ces partisans et protestataire[21] ,il prétend appliquer l’article 80 de la constitution pour s’emparer du pouvoir le 25 juillet 2021 suite a un conseil de sécurité national . Les violations d’ordre procédural sont évidentes. Le président n’a pas consulter ni le chef du gouvernement ni le président de l’assemblé des représentants du peuple ,il n’a évidement pas informer le président de la  Cour constitutionnelle qui n’était  pas d’ailleurs constituée , il n’a pas permit à l’assemblé de rester en session permanente au contraire il a fermé son siège avec les chars de l’armée complice et déclare suspendre les prérogatives de l’assemblée un mois[22], l’article 80 interdit la motion de censure contre le gouvernement pendant cette période d’exception alors que Kais Said a démit le chef du gouvernement. Le danger imminent au sens de l’article 80 est jusqu’à ce jour indéterminé, le discours au peuple que Kais Said a fait pour annoncer les mesures d’exception ne précise pas toutes les mesures qu’il va prendre à ce titre et il s’est même retracté après qu’il a déclaré qu’il se charge du ministère public[23]. Les violations de l’article 80 étaient grossières et manifestes surtout qu’il s’agit de conditions de forme et de procédure ignoré d’une façon rustre ce qui ne laisse aucun doute sur l’intention du président de procéder à un changement inconstitutionnel du pouvoir sonnant le glas de la fragile transition démocratique.

Faute d’arbitrage d’une Cour constitutionnelle, le président Kais Said s’est emparé avec la complicité totale de l’armée et des forces de l’ordre du tout le pouvoir exécutif qui était pour sa plupart de la compétence du chef du gouvernement et du pouvoir législatif dans un premier temps même s’il faut nuancer , car l’existence de la Cour Constitutionnelle ne saurait faire barrage a une exhibition de force comme celle que Kais Said a fait le 25 juillet 2021 .Les membres de la Cour auront été limogés comme mesures d’exception comme c’était le cas pour les autres institutions ou forcé de déclarer l’application de l’article 80 par Kais Said conforme à la constitution. Il est clair que dans ce contexte la règle du droit n’est plus générale ni impersonnel ni contraignante. D’ailleurs le niveau minimal de contrôle de constitutionalité qui existait c’est-à-dire l’instance provisoire de contrôle de constitutionalité des projets de lois a été elle aussi dissoute par Kais Said[24] qui a fait de l’état d’exception une exception de la loi au lieu d’une exception juridique.

Il faut dire que même le contrôle constitutionnel embryonnaire qu’est l’instance de contrôle de constitutionalité des projets de loi n’a pas été épargné Kais Said  qui l’a dissoute , elle aussi serait un péril éminent pas au sens de l’article 80 mais pour le projet pharaonique de kais Said.

Un peu partout en occident les gouvernements qui toléraient ce changement inconstitutionnelle sans l’annoncer, de crainte de paraitre contre les valeurs démocratiques et des droits de l’homme devant leur opinion publique, on parle de coup d’état constitutionnel pour arrondir les angles sans condamner ce qui est évident .En effet ce concept de coup d’état constitutionnelle est une Manoeuvre de communication qui n’a aucun sens , une constitution ca n’a rien d’eschatologique aucune constitution au monde n’organise sa fin surtout qu’on est devant des violations criantes de l’article 80 de la constitution . Le décret présidentiel 117/2011 du 22septembre 2021, dont la teneur n’est pas mentionnée d’ailleurs dans les mesures d’exceptions annoncé par Kais Said comme le prévoit l’article 80, vient enfoncer le clou de la dérive autocratique du président qui s’autorise à cumuler par ce décret les pouvoirs exécutifs et législatifs c’est une petite constitution  et il va son dire que c’est un certificat de décès de la constitution 2014 que Kais Said a mis des mois à insister qu’il ne fait que la respecter.

La qualification de changement inconstitutionnelle de pouvoir n’est pas une constatation ou une appréciation de spécialistes ou analystes dissidents. En effet ce constat est retenu par une Cour continentale compétente ,puisque la Tunisie a ratifié le protocole et a accepté que les personnes physiques et les associations peuvent ester contre elle devant cette cour qu’est la Cour africain des droits de l’homme et des peuples. Le 22 septembre 2022 dans son arrêt 017/2021[25] , la Cour condamne l’état tunisien pour violations des droits de l’homme allégués en occurrence le droit de chacun de participer aux affaires publiques de son pays, le droit aux garanties des droits de l’homme et au procès équitable et ordonne l’abrogation des décrets présidentiels notamment le décret 117/2021 et elle a ordonné surtout de rétablir la démocratie constitutionnelle et œuvrer pour l’instauration de la Cour constitutionnelle comme garantie de non répétition, a contrario la Cour affirme que la Tunisie n’est plus dans un régime de démocratie constitutionnelle.

La Cour a tranché judiciairement le stérile débat qui s’est déclenché en Tunisie sur la nature du changement de pouvoir du 25juillet 2021. L’arrêt de la cour est décidé après un débat contradictoire ou l’état tunisien a exercé son droit de défense. Bien sur ,on ne fait pas un coup d’état avec la complicité de l’armée et des forces de l’ordre pour qu’à la fin  leretour à la démocratie constitutionnelle est assuré en exécution d’un arrêt qui est obligatoire au sens du droit national et international, mais justement un coup d’état c’est une violation délibérée de la norme constitutionnelle et ce qui nous intéresse c’est l’ affirmation de la Cour de l’illégalité de l’œuvre de Kais Said et pour ça la cour a été amené à contrôlé les textes critiqués et leur conformité avec la constitution de 2014 c’est-à-dire qu’elle a substituer la Cour constitutionnelle occasionnellement mais d’une façon tout à fait légale , d’ailleurs elle est encore appelé à le faire pour le contentieux en cours contre l’état tunisien .La violation et  la rupture avec la constitution de 2014 que Kais Said a fait preuve est de la destruction de tout ce qu’a été entreprit depuis 2011.

II RESTAURER

Même si la suite logique de la destruction dans ces contextes politiques, pour ceux qui prétendent avoir un projet révolutionnaire ou du moins réformateur, c’est l’édification c’est à dire bâtir, construire ou entamer la réalisation de leurs nouveaux modèles ou remèdes selon une conception théorique ou empirique dans différends secteurs de la vie publique. S’agissant de vie publique, il n’y a pas mieux de la constitution et le contrôle de constitutionalité comme objet de changement si on aurait une nouvelle conception de la chose. En effet la constitution de Kais Said de 2022 ne peut être qualifié d’édification de nouvelle construction tellement elle soufre d’irrespect des principes démocratiques et participatifs et de normes liberticides que se soit lors de sa conception ou son application.

Pour ce qui est conception, la constitution de 2022 était la réalisation de la décision d’une seule personne du moins formellement , c’est bien sur Kais Said qui a décidé le sort de tout un peuple en dévoilant sa feuille de route après avoir dissout l’assemblé des représentants du peuple[26] .Il prévoyait une consultation électronique du peuple, outre le manque de neutralité[27] cette procédure n’a pas connu une participation importante des tunisiens malgré le déploiement de l’administration dans la compagne et cette consultation sera poursuivie par la formation de groupe d’experts qui rédigeront une nouvelle constitution qui sera soumise a l’approbation par un referendum et la tenue des élections législatives Kais Said va jusqu’à fixer les dates de ces évènements ce qui reflètent la concentration des pouvoirs et la négation du pouvoir du peuple de disposer d’eux même . Le semblant de l’implication du peuple pour entériner ce que Kais Said a décidé est formelle et sa feuille de route est la preuve car le respect du choix du peuple aurait supposé qu’il attende le résultat de cette soit disons consultation pour décider l’étape suivante selon l’avis de la majorité mais la feuille de route impose déjà une nouvelle constitution et des élections législatives et le peuple consulté n’a pas en effet le choix qu’adhérer. Cette conclusion n’est pas théorique puisque Kais Said et sa consultation, au taux de participation faible voir insignifiante vu l’importance de l’enjeu, vont la prouver. A la question « est que vous préfériez un amendement de la constitution de 2014 ou promulguer une nouvelle constitution ? » la majorité des consultés ont préféré garder la constitution de 2014 et la reformer et pourtant Kais Said va ignorer cette volonté du peuple qu’il prétend consulter et il continue a réaliser sa volonté souveraine de facto pour continuer sa feuille de route et former un comité pour la rédaction d’une constitution, ce qui est un autre épisode rocambolesque qui atteste le retour à la dictature.

La formation du comité est décrétée par Kais Said [28]sans aucun critère et sans se concerter même avec les intéressés les travaux de ce comité sont boycottés par plusieurs personnalités et organisations notamment les professeurs d’université de Droit et l’union général de travailleurs tunisiens. Les travaux ne sont pas publics et les rapports et le projet de constitution ne sont pas publié et ne sont qu’à titre consultatif.

L’imposture de Kais Said n’a pas tardé de retentir, ce comité n’était qu’un décor puisqu’il fait sortir un projet de constitution qu’il a rédigé lui-même qu’il n’a aucune relation avec le projet du comité d’ailleurs le président de la comité[29] s’est indigné et a affirmé qu’il ont été berné en publiant leur projet. Pendant la compagne référendaire Kais Said annonce qu’il va corriger quelques fautes de syntaxe qui se sont introduite dans le texte et il publie un nouveau projet avec des changements même au fond.

Le referendum est organisé par l’instance électorale recomposé par Kais Said en violation de la loi électorale qui s’est vu elle aussi amendé plusieurs fois avec ces super décrets présidentiels supraconstitutionnels.

Avec un faible taux de participation , le projet de Kais Said a été déclaré adopté .La nouvelle constitution   instaure un régime hyper  présidentialiste alteré ou le président de la république est l’axe centrale du pouvoir qui ne peut être redevable a aucun contre-pouvoir  une sorte de « Khalifa » qui rimait tout à fait avec l’appartenance à « l’ouma islamia » de la Tunisie nouveau concept qui remplace la formule « l’islam est sa religion » de 1959 et plus grave les finalités de la « Chariaa » dont l’état doit œuvrer pour leur réalisation.

Pour ce qui est contrôle de constitutionalité la constitution de Kais Said prévoit une cour constitutionnelle au quelle elle consacre son chapitre VI[30]. Les neufs membres sont nommés par décret et il va sans dire que c’est un décret présidentiel ce qui saperais son indépendance ab initio. Tous des plus anciens présidents des chambres de cassation de la cour de cassation, du tribunal administratif et de la cour des comptes[31] .Les compétences de la Cour sont réduites comparées à celles de la constitution 2014 notamment la disparition de la destitution du président de la République et le règlement de conflit de compétence entre le président et le chef du gouvernement et le maintien de l’état d’exceptions. Les compétences retenues bien qu’ils soient exclusifs, ils ne sont pas obligatoires du moins la formulation de l’article 127 ne permet pas de confirmer que sa saisine est obligatoire pour les projets de loi et surtout des traités. Le même texte insinue que des restrictions seront fixés pour la saisine de la Cour par voie d’exceptions d’inconstitutionnalité en prévoyant que les procédures seront prévus par la loi même si les procédures qui jouent le rôle du  filtre n’est pas forcément une restriction illégitime, bien au contraire c’est parfois même nécessaire , mais ça dépend du détails et qu’est ce qu’on va faire avec .la tendance que révèle cette constitution ne laisse présagé rien d’utile au respect des droits de l’homme et de l’état de droit et des institutions déjà la majorité requise pour sa décision annonce la couleur [32]. Le contrôle A priori des projets de révision de la constitution est réduit à l’atteinte ou non de l’impossibilité de révision de certaines dispositions. La constitutionnalité et son contrôle ne sont pas d’ordre public puisque l’article 131 limite l’examen de la Cour au griefs invoqués sans pouvoir soulever aucun grief d’office. L’article 132 prévoit qu’une loi pas même une loi organique va organiser les procédures devant cette Cour et les garanties de ces membres qui doivent être normalement constitutionnelles mais pour le rédacteur de la constitution le contrôle de cette dangereuse institution et la limitation de ces compétences priment.

Il ne faut pas être un spécialiste de droit constitutionnelle ou même un juriste pour conclure qu’entre la constitution de Kais Said et la constitution de 2014 malgré ces défauts il n’y a pas photo, d’ailleurs on ne s’arrêtera pas sur cette comparaison si évidente. Bien que la destruction à qu’elle Kais Said s’est adonné était massive, on peine à déceler une conception ou un projet nouveau encore moins une édification ou une démarche qui peut être qualifié de construction. Les actes du régime pour ce qui est constitutionnalité et son contrôle prend plutôt l’air de plantation de décor que d’édifier ou construire quelque chose de durable. La constitution formelle ou article de vitrine pour le régime en Tunisie, on a connu que ça avec la constitution de 1959 que se soit avec le président Bourguiba ou Ben Ali d’où l’idée de restauration est soutenable. La restauration mais de quelle conception constitutionnelle justement, ce n’est pas la constitution de 2014 c’est sûr qu’on est-il pour celle de 1959 ?

  • Alors que la constitution de 1959 était le produit d’une constituante élue par le peuple, la constitution de Kais Said est l’œuvre de ce dernier dans un cas extraordinaire ou une personne rédige un projet de constitution ou il s’arroge tous les pouvoirs, il est probablement un cas unique dans le monde et l’histoire contemporaine. En effet c’est un constituant a lui seul pour une constitution unipersonnelle donc la constitution de 1959 est plus participative et moderne.
  • Les membres de la première constituante sont partis d’un contexte autoritaire et incompatible avec leur mission à savoir le pouvoir du Bey et ont inversé la donne en proclament la république et promulguer la constitution de 1959 qui représentait incontestablement une amélioration de l’état de droit à l’époque. Kais Said a emprunté le sens diamétralement opposé partant d’une constitution assez progressiste et démocratique pour en finir avec une constitution digne des monarchies médiévale.
  • Le contexte historique de la constitution de 1959 peut amener a tolérer relativement ses défauts quant aux principes de l’état de droit d’une part l’indépendance et le sentiment national galvanisait le peuple tunisien qui adhérait plus ou moins massivement au projet de bâtir la république et procurait au président Bourguiba une certaine légitimité qui l’a exploité jusqu’ à être déclaré président a vie mais pour Kais Said quelle légitimité historique pourrait faire tolérer les dérives autocratiques de sa constitution , avoir tramer un coup d’état avec les militaires et les forces de l’ordre et violer une constitution pour le respect de laquelle il a prêté serrement tout ça n’a rien d’héroïque .
  • Même si la constitution de kais Said prévoit l’instauration de Cour constitutionnelle avec une conception très restrictive alors que la constitution de 1959 ne prévoyait rien au sujet de contrôle de constitutionalité, les deux régimes se rejoignent sur l’aspect tabou de ce contrôle pour la constitution de 1959 le professeur Abdelfateh Amor résumait la situation en trois mots « silence .refus .échec »[33] .A l’époque on avançait que le législateur de 1959 ne  prévoyait que la bonne foi  dans les trois pouvoirs et que le débat sur le control de constitutionalité de ce fait  était stérile puisque l’article 41 l’a tranché en prévoyant que le président de la république est le garant de la suprématie de la constitution  ce qui ne peut être bien sûr qu’un argument de propagande politique en droit l’autocontrôle n’est pas une mesure de control surtout que cette logique va à l’encontre des principes de l’indépendance et de l’équilibre des pouvoirs. Mais Kais Said parait bien faire l’écho de cette idée en disposant dans l’article 91 [34]ou il est considéré comme le garant de la constitution ce qui est plausible puisqu’il est le législateur ou le constituant. L’échec aussi est un caractère commun entre les deux textes et les deux régimes puisque même avec l’élection d’une assemblée de représentant de peuple sur mesure aucun projet de loi n’est soumis afin d’organiser et permettre l’instauration de la supposée Cour constitutionnelle malgré que les projets de loi présidentiels sont prioritaires d’où on peut affirmer que le refus y est aussi comme le cas de la constitution de 1959 d’ailleurs Kais Said ne s’est même pas donné la peine de nommer une instance provisoire pour le contrôle de constitutionalité comme il a fait pour le conseil supérieur de la magistrature [35]ou l’instance électorale[36] ce qui d’ailleurs conforte le principe directeur dans sa constitution que le président de la république ne peut être contrôlé même s’il s’agit de respect de sa propre constitution qu’il ne s’est pas privé de violer d’ailleurs.

La comparaison permet d’affirmer que même la restauration visé par le nébuleux projet de Kais Said remonte plutôt au régime Beylical ,abstraction faite de quelques dispositions à caractère déclaratif ,que la vulnérabilité du nouveau régime sur le plan populaire et international impose la mention, même si les violations des droits de l’homme et des libertés publiques sont d’une ampleur avec laquelle la normalisation  le régime semble miser ,en verrouillant tous les pouvoirs , en rayant les  contrepouvoirs , et en harcelant toute voix dissidente. L’autocensure et la peur s’installe petit à petit faisant du contrôle de constitutionalité un luxe dont la réclamation n’est pas prioritaire ou réelle et des citoyens des sujets d’un pouvoir personnalisé et centralisé d’où cette idée de retour à la case de départ.


[1] Un texte que les grecs ont loué notamment le philosophe Aristote dans son livre “La république”.

[2] Décret Beylicale du 29 décembre 1955

[3] Proclamation de la constituante du 25 juillet 1957

[4] Le 1er juin 1959

[5] Même si l’article 60 de cette constitution qui instaure le grand conseil peut être assimiler a un organe de contrôle de constitutionalité

[6] A quelques exceptions près notamment un projet de Conseil constitutionnel porté par des députés en 1971 qui n’ont pas eu gain de cause évidement.

[7] Voir Rafaa Ben Achour. Le contrôle de constitutionalité et son progrès en Tunisie en 1987 revue tunisienne de droit 1989 p.23.9 en arabe

[8] Voir l’article de Tayeb El Youssfi. le conseil constitutionnel des missions consultatives probablement progressives. Journal AlBayan du 21/12/1987 p.5 en arabe

[9] Voir Mohamed Kamel Charfeddine.le contrôle de constitutionalité des lois et les droits essentiels. Revue tunisienne de droit 2007 p.229-253 en arabe

[10] Pour plus de détails sur l histoire du contrôle de constitutionalité voir Ben Achour Rafaâ. Tunisie. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 4-1988, 1990. Les juges constitutionnels. pp.

535-545; https://doi.org/10.3406/aijc.1990.1072

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_1990_num_4_1988_1072

[11] Pour la jurisprudence administrative voir :

– l’intervention du juge Abderazek Zinouni .” Rôle du juge administratif dans la consécration de l’Etat de Droit “en arabe. Publié dans le rapport de synthèse du colloque du tribunal administratif du 29 avril 2019 p.7.

-L’ article de Mokhles Khmis “ Le contrôle de la constitutionalité des lois par le tribunal administratif a travers une jurisprudence récente” .Publié à la revue Elmanar pour les études juridique et politique n°4 du mois de mars 2018.p.224 .

[12] Le professeur Brahim Bartagi qualifie le tribunal administratif d’apprenti sourcier pour avoir se hasarder au contrôle de constitutionalité

[13] Les articles de118 à 124

[14] L’article 148.7

[15] Voir l’article de Hamrouni Salwa, Tabei Mouna, Agrebi Meriem. La Cour constitutionnelle la face sombre de la transition démocratique en Tunisie. publié à l’annuaire international de justice constitutionnelle

[16] Voir le rapport de Democracy Reporting International : Les effets de l’absence de la Cour Constitutionnelle pendant la législature 2014/2019

[17] La prof. Sana Ben Achour qualifie son action de détricotage des institutions pour s’ériger en pouvoir constituant dans son article publié dans l’œuvre collectif” le pouvoir d’un seul” p.89.,

[18] Pour plus de détails pour ces deux cas   Voir l’article de Hamrouni Salwa, Tabei Mouna, Agrebi Meriem. La Cour constitutionnelle la face sombre de la transition démocratique en Tunisie. publié à l’annuaire international de justice constitutionnelle

[19] Peut être il a pressenti une menace de destitution par cette Cour vu la crise politique

[20]  Le 23 mai 2021 la revue publie un document secret qui détaille le scenario du coup d’état https://www.middleeasteye.net/news/tunisia-exclusive-top-secret-presidential-document-plan-constitutional-dictatorship

[21] La propagandiste pro coups d’état parle eux de dizaines de milliers ce qui devient la version officielle

[22] Il va reconduire le délai avant de dissoudre l’assemblée.

[23] Ce qui est révélateur de son avidité du pouvoir tous les pouvoir comme un khalifa.

[24] Décret 117/2021 du 22 septembre 2021.

[25] Publié sur le site de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples https://www.african-court.org/cpmt/fr/latest-decisions/judgments

[26] Il a affirmé plusieurs fois en répliques à la demande de dissolution du parlement qu’il ne pouvait pas le faire car contraire à la constitution mais il a fini par décréter cette dissolution

[27] C’est un ministère qui va l’organiser

[28] Décret-loi n° 2022-30 du 19 mai 2022, relatif à la création de « l’Instance nationale consultative pour une nouvelle République »

[29] Sadok Belaid a publié son projet au journal « Al sabeh «  en juillet 2022

[30] La constitution traite de la Cour constitutionnelle distinctement de la fonction juridictionnelle, même si l’article 125 qualifie cette cour d’instance juridictionnelle. KAIS Said a remplacé le terme « pouvoir « par terme « fonction » dans sa constitution.

[31] Article 125 de la constitution neuf membres un tiers de chaque catégorie

[32] Une majorité de deux tiers selon l’article 128 sans aucune solution pour les autres cas.

[33] 2.        silence de la constitution, refus de la jurisprudence et l’échec des essaies d’amendement de la constitution. Abdelfateh Amor.” De la question du contrôle de constitutionnalité des lois en Tunisie “.revue tunisienne de droit 1982 p.19.1 en arabe.

[34] La constitution de 2014 article 72 aussi prévoit que le président veille au respect de la constitution mais dans l’article 91 de Kais Said il deviendra le garant de ce respect de la constitution.

[35] Décret-loi 11/2022 du 1e juin 2022 relatif au conseil supérieur provisoire de la magistrature

[36] Notamment le décret   459/2022 du 09 mai 2022portant nomination des membres du Conseil de l’Instance supérieure indépendante pour les élections