Par Soufiane Ben Farhat

C’est quand même étrange. L’écrasante majorité des élus en Tunisie fait l’objet de l’apparent opprobre populaire. Hormis d’inconditionnels séides et affidés, l’ire populaire les poursuit. Certains sont même littéralement haïs. C’est à la limite une humiliation permanente. Pourtant, la représentativité démocratique est, jusqu’à nouvel ordre, la meilleure modalité de la démocratie. Un système conventionnel et internationalement reconnu comme tel.

7.500 élus, une douzaine de personnes respectées

Résumons. La Tunisie compte 217 députés au Parlement et 7.212 élus municipaux, un président de la République élu au suffrage universel et quelques dizaines d’élus dans certaines hautes instances spécialisées et organisations de masse. Soit, au total, un peu plus de 7.500 élus.

Pourtant, on hésite à dénicher parmi eux une bonne douzaine de personnes aimées ou respectées. Cherchez la faille !

Ça n’a guère été toujours le cas, même du temps de l’ancien régime. Malgré cela, l’intensité du phénomène est sans pareille depuis les élections législatives et présidentielle de l’automne 2019.

La profanation de tout ce qui est noble

Hélas, sous nos cieux, nous avons la fâcheuse tendance à profaner tout ce qui est noble, ou supposé être tel. Prenons le mot socialisme. Depuis la mue du parti néo-Destour libéral en Parti socialiste Destourien, en 1964, il y a eu une espèce de tête-à-queue. La collectivisation forcée aidant, le fiasco politique, économique et social a cristallisé une haine épidermique de tout ce qui, de près ou de loin, se revendique du socialisme.

A tank is positioned on guard outside the Tunisian parliament (R) and the Ministry of Finance (L), 28 January 1978 in Tunis, as the state of emergency continues, following anti-government riots by striking workers protesting against price increase and pegged wages. / AFP PHOTO / UPI / MAL LANGSDON

Depuis, on ne jura plus que par le libéralisme. Là aussi, l’expérience initiée en grande pompe au début des années 70 du XXe siècle, a viré au cauchemar sanglant en moins de dix ans. Témoins, les milliers de personnes tombées sous les balles de la police et des forces armées tunisiennes en janvier 1978 et janvier 1984.

Les espoirs déçus de 2011

Après 2011, c’est le même topo. En fait, de mal en pis. On nous avait promis l’avènement des lendemains meilleurs, enfin. Pourtant, la situation a littéralement empiré en deux temps et trois mouvements.

Le terrorisme s’est installé dans nos murs, massivement, entretenu par la Troïka au pouvoir chapeautée par les prétendus islamistes d’Ennahdha. La paupérisation s’est amplifiée. Quant à la corruption, elle s’est pour ainsi dire démocratisée. En définitive, nous avons perdu toute une décennie pour nous retrouver à la case misère des années soixante du siècle dernier. En somme, un bond en arrière de soixante ans. Et ce n’est pas fini.

La défection des partis

Paradoxalement, les partis politiques ont poussé comme du champignon. Désormais, le pays compte 228 partis. Soit record mondial. Pourtant, ceux qui sont dignes de ce nom se comptent sur les doigts d’une main. Autrement, il s’agit de coteries et de regroupements douteux. à droite comme à gauche, des courtisans de quelque chef fantasque et sans véritable envergure. Tantôt des paravents et des relais aux desseins non avoués.

La corruption s’est démocratisée !

Et pourtant, aujourd’hui, tous les partis de la place ou presque semblent clairsemés. Qui plus est dominés par de véritables momies qui jouent leur triste et mauvaise partition depuis des décennies au même endroit.

En effet, aujourd’hui, les partis semblent plus que jamais des coquilles vides, inanimées. Et ils s’avisent de surcroît de prendre les vessies pour des lanternes. En effet, ils croient que là blogosphère remplace le terrain, ils la prennent même pour le terrain.

Le Parlement et les municipalités aux devants de la haine

Soyons clairs. Les partis politiques tunisiens souffrent de l’absence de véritables chefs charismatiques, expérimentés ou du moins ou bien avisés. Nombre d’idiots et d’analphabètes bilingues meublent leurs instances dirigeantes. En plus, ils se caractérisent par leur vieillesse, leur misogynie manifeste et l’absence de leur ancrage dans les organisations de masse et les couches populaires. Sans parler des lourds soupçons ou griefs de corruption avérée qui les entachent.

Outre les partis, les parlementaires et les élus municipaux concourent à cet état de fait largement admis. Les premiers ont passé deux bonnes années à se chamailler pour des vétilles. Oubliant au passage leur vocation de législateur. En deux ans, moins de dix projets de lois ont été votés, dont certains en souffrance pour impraticabilités ou absence de textes d’application.

Quant aux municipalités, même topo. Le pays est sale, le mobilier urbain vétuste et mal entretenu, les prestations et servies publics dégradés. Là aussi, la grande et la petite corruption sévissent.

Amers constats

Évidemment, il s’agit de constats. Les instituts de sondage gagneraient à s’en tenir aux seuls indices de la répulsion et de la haine pour prendre le pouls de l’état de l’opinion.

Et tout ce beau monde fait du surplace. On se bouscule au portillon des médias pour parler, parler, parler, pour ne rien dire. Des petites machines électorales sommeillent. Pour réitérer le même cauchemar des élus. Et récolter les sentiments de l’aversion.

Entretemps, la mise de s’amplifie, le pays part en lambeaux, l’économie est en faillite et les Tunisiens exsangues. Cherchez la faille !

S.B.F