Par Raouf Ben Rejeb

Les décisions prises par Kaïs Saïed le 25 juillet dernier qui ont pris de court toute la classe politique qui ne le croyait pas en mesure d’oser aller aussi loin, ont particulièrement affecté le Parti destourien libre et sa présidente Abir Moussi. Alors que ce parti avait le vent en poupe et était placé en première position dans tous les sondages d’opinions, loin devant son « ennemi juré » le Mouvement Ennahdha, ce qui rendait sa victoire aux prochaines élections législatives quasi-certaines, voilà que l’acte inattendu du chef de l’Etat vient doucher ses espoirs.

Depuis le début de la législature en octobre 2019 et l’élection du chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi à la présidence de l’ARP, Abir Moussi et son groupe parlementaire se sont évertués à lui rendre la vie dure. De mouvements de protestation, en sit-in, d’intrusion mégaphone au poing en pleine séance plénière à occupation du Perchoir, tous les moyens étaient bons pour mettre en difficulté le président du Parlement et ses adjoints, discréditer auprès de l’opinion publique l’Assemblée devenue une foire d’empoigne et surtout s’attaquer à Ghannouchi. Son objectif étant de le faire chuter de son piédestal et de nourrir la haine dans laquelle une grande majorité de Tunisiens le tiennent puisque les études d’opinions font de lui « la personnalité la plus haïe » des Tunisiens.

Une Assemblée discréditée et son président « haï »

Si elle n’a épargné aucun effort pour renforcer le rejet par la grande majorité de la population de cette ARP dont l’image  a été sérieusement écornée pour devenir même carrément exécrable, les élus du groupe de la coalition Al Karama qui se situent à la droite du Mouvement d’Ennahdha et sont chargés des « basses besognes » de celui-ci n’ont pas été en reste pour décrédibiliser totalement ce Parlement surtout que la violence y a fait son entrée et le sang y a coulé.

Au moment où elle comptait récolter les dividendes de cette action acharnée contre le président du Parlement désignée à la vindicte populaire par sa qualité de « chef de Khwanjia » et contre ses alliés au sein de l’Assemblée considérés comme ses « parechocs », la décision du président Kaïs Saïed de « suspendre les compétences du Parlement et de lever l’immunité à tous ses membres » bien qu’elle et son groupe en soient touchés, l’a prise de court.

Certes, elle ne va pas pleurer sur le sort fait à Ghannouchi, à son parti et à ses alliés mais elle n’est pas non plus heureuse que ce soit Kaïs Saïed qui soit l’auteur des mesures qu’elle ne pouvait pas évidemment rejeter, car dans leur principe, elles vont dans le sens qu’elle souhaite. Ayant longtemps soutenu que les « Khwanjias » et Kaïs Saîed ne sont l’avers et l’envers d’une même pièce, elle ne pouvait donner un blanc-seing au président de la République sans risquer d’y laisser des plumes et de perdre une part de son électorat.

L’insoluble dilemme

C’est pour elle sans doute un insoluble dilemme auquel elle a dû faire face en observant une indéniable expectative dans l’espoir inavoué de voir son nouvel adversaire faire un faux pas. Pour elle, il importe que Kaïs Saïed n’aille pas trop loin dans le combat qu’il mène contre Ennahdha et son président. Pour pouvoir exister politiquement, Abir Moussi a besoin de ce parti et de son chef. Les lui enlever d’une manière ou d’une autre, c’est la priver de la raison du combat qu’elle conduit. Surtout que c’est le président de la République qui capitalisera sur ces acquis, les électeurs lui rendant grâce de les avoir débarrassés de la force politique considérée comme étant responsable des maux dont souffre le pays.

La présidente du PDL a ainsi conseillé au président de la République de ne pas recourir à la dissolution du Parlement ou à la suspension de la Constitution, car estime-t-elle cela va donner à Ennahdha et à Ghannouchi des arguments pour se présenter comme des « victimes » et ainsi porter un coup fatal aux mesures prises par Kaïs Saïed particulièrement sur le plan international.

Mais maintenant que le président de la République a franchi le Rubicon en publiant le décret présidentiel n°117 en date du 22 septembre 2021, relatif aux mesures exceptionnelles », elle se retrouve désarmée. Elle ne peut, dès lors, que prendre son mal en patience en attendant d’éventuels faux pas de Kaïs Saïed devenu son nouvel adversaire désigné. Elle en sera une opposante déterminée, dit-elle tout en portant sur les épaules du chef de l’Etat la responsabilité de ce qui adviendra suite à l’application de ces dites mesures devant la loi, devant le peuple, devant l’histoire et même devant Dieu, selon d’ailleurs, l’expression du président de la République lui-même. Elle place devant lui des « lignes rouges » qu’il ne peut franchir qui ont pour nom, le Code du statut personnel, les libertés publiques, le droit à la propriété. Même si cela est anecdotique le fait qu’elle ait évoqué la possibilité pour le président de la République de légaliser la polygamie sous une forme ou une autre, par un décret-loi est une indication de la difficulté dans laquelle Abir Moussi se trouve pour contrer désormais la volonté du chef de l’Etat.

Que faire pour contrer un président ?

Devant l’irrésistible ascension de la cote du président Kaïs Saïed dans l’opinion publique qui glane rien moins que 90% de taux de confiance et l’apparition de son « parti politique virtuel » dans les sondages d’opinions où il a pris la seconde place non loin du PDL dès la première fournée des enquêtes, au lendemain du 25 juillet 2021, la présidente du PDL n’a d’autre ressort que de s’armer de patience en attendant des jours meilleurs.

Mais le risque pour elle est de voir ses partisans quitter le parti qu’elle a fondé et se jeter dans les bras du nouveau maître du pays. Certains de ses affidés commencent d’ailleurs à critiquer le fait qu’elle ait refusé de se rallier avec un quelconque parti et d’avoir refusé les invitations du président de la République au début de son mandat, consacrant la rupture avec le Palais de Carthage. On lui reproche d’avoir refusé toutes les mains qui se tendaient vers elle, ce qui la met en porte à faux avec l’ensemble de la classe politique alors que les alliances sont nécessaires pour gouverner un jour.

Maintenant que le pouvoir semble lui échapper inexorablement, ne doit-elle pas se poser des questions sur la justesse de ses choix.

RBR