Par Brahim Oueslati

Au moment où les autorités françaises haussent le ton à l’égard des trois pays du Maghreb et prennent des mesures de rétorsion en durcissant l’octroi des visas, recourant à des réductions drastiques de 30% pour les Tunisiens et de 50% pour les Algériens et les Marocains, en raison du refus de ces pays de rapatrier quelque 11.700 de leurs « ressortissants » en situation irrégulière, il convient de rappeler que des milliers d’autres maghrébins sont en première ligne dans l’Hexagone pour lutter contre la pandémie du Coronavirus.

Ce sont ces blouses blanches, originaires de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc, qui représentent plus de 40% des médecins inscrits à l’Ordre des médecins français. La situation varie toutefois beaucoup selon le pays d’origine. Ainsi, près de 80 % des médecins maghrébins ont été diplômés dans l’Hexagone (72 % des Marocains, 90 % des Tunisiens et 86 % des Algériens), ce qui n’est pas anodin lorsque l’on sait que 25 % des praticiens étrangers installés en France viennent d’Algérie et 11,5 % du Maroc et 7,1% de la Tunisie, selon le site profil médecins.

Ils investissent surtout « les spécialités hospitalières désertées par les médecins à diplôme français qui préfèrent exercer en libéral : l’anesthésie-réanimation, la psychiatrie, la radiologie, la chirurgie cardio-vasculaire, la néphrologie ou encore les urgences ».

Près de 100.000 jeunes diplômés ont quitté la Tunisie

L’année dernière, près de 900 médecins tunisiens ont réussi à obtenir l’équivalence de leur diplôme en France. Un nombre élevé qui traduit une situation de plus en plus inquiétante sur fond d’un climat délétère à tous les niveaux.

Avec la propagation de la pandémie du coronavirus, les médecins ont été les plus sollicités particulièrement en France et en Allemagne.

Selon des statistiques officielles, « près de 80 % des jeunes inscrits à l’ordre tunsien des médecins ont fait une demande de radiation et sont partis à l’étranger en 2020. Entre 700 et 800 praticiens quittent le pays chaque année, et leur nombre ne fait qu’augmenter. Cette fuite des cerveaux vers la France ou l’Allemagne s’est banalisée pour les nouveaux diplômés, en souffrance face aux salaires proposés dans le secteur public, autour de 1 200 dinars ».

Notre pays continue de former chaque année 800 médecins, dont les compétences sont reconnues à l’international, mais les infrastructures sont dégradées, le matériel et les médicaments manquent et les effectifs sont parfois insuffisants, résultat d’une mauvaise gestion et de la corruption.

Mais il n’y a pas que les médecins qui ont choisi de faire leur vie ailleurs, particulièrement en France. Selon l’Ordre des Ingénieurs Tunisiens (OIT), près de 3.000 ingénieurs, dont la plupart sont spécialisés en informatique, partent chaque année vers la France. A ce chiffre s’ajoutent près de 4 000 enseignants universitaires qui ont quitté la Tunisie pour entamer leur vie professionnelle ailleurs, en raison notamment, de la situation du pays confronté à une crise économique et sociale aiguë et à l’incapacité des gouvernements successifs à juguler le chômage des jeunes diplômés qui frôle les 30%.

Ces statistiques corroborent celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui, dans un rapport publié en novembre 2017, a fait état du départ volontaire de 95 000 jeunes cadres tunisiens depuis la chute du régime de l’ancien président Ben Ali, en janvier 2011, pour faire leur vie ailleurs, dont 84 % en Europe. Il s’agit principalement, selon le même rapport, de « diplômés de haut niveau tentés par des perspectives d’avenir plus prometteuses que celles que leur propose la Tunisie ».

La France et l’Allemagne demeurent les pays les plus attractifs pour ces jeunes cerveaux, notamment parmi les ingénieurs en informatique, les médecins et les enseignants-chercheurs. Pour les universitaires qui se prévalent d’une bonne expérience, ce sont les pays du Golfe et en premier lieu l’Arabie Saoudite qui les attirent le plus en raison des salaires bien plus intéressants que ceux offerts par les universités tunisiennes et des conditions de travail, de loin meilleures, avec moins de grèves et de mouvements de protestation.

La migration des étudiants

A ce phénomène s’ajoute un autre non moins inquiétant, celui de la migration des étudiants. Les bureaux de migration régulière vers des pays comme la France, l’Allemagne ou encore le Canada et les pays de l’Est comme la Russie et l’Ukraine connaissent une forte demande de la part de jeunes bacheliers. Tout comme « Campus France » qui reçoit les demandes de préinscription à partir du mois de janvier de chaque année. Les raisons souvent invoquées ont un rapport avec l’éternel problème du système d’accès à l’enseignement supérieur en Tunisie et à la qualité du système d’enseignement à l’étranger. Leur nombre va croissant et il est estimé à plus de 70 000. Mais c’est l’Hexagone qui demeure l’attraction la plus prisée où près de 13.000 jeunes tunisiens sont inscrits dans les différentes institutions universitaires, soit environ 4% de l’ensemble des étudiants étrangers. Ils arrivent en quatrième position derrière les Marocains (38. 002), les Chinois (28.760), et les Algériens (26.116), selon les statistiques fournies par « Campus France » en Tunisie. La France constitue, en effet, pour beaucoup de jeunes maghrébins, un choix « naturel » compte tenu des liens historiques, culturels et politiques, selon une étude monographique menée conjointement par l’Observatoire français de la vie étudiante(OVE) et l’Observatoire tunisien de la jeunesse(ONJ) en 2009, sur « les étudiants tunisiens en France ».

Ces étudiants sont de moins en moins enclins à envisager un retour en Tunisie.  Selon des études menées, un peu plus de la moitié d’entre eux, (55%), préfèrent rester dans les pays d’accueil, en fonction de « leur légitime intérêt personnel » et ce, bien qu’ils demeurent attachés à leur pays et n’excluent pas totalement l’éventualité du retour qu’ils conditionnent essentiellement par les perspectives que leur offre leur Pays. Des perspectives qui, pour le moment, son confuses.

Il convient, plutôt, d’accroître le soutien aux pays concernés et se tenir aux côtés de la jeune démocratie tunisienne qui peine encore à assurer sa transition, économique surtout. Ce soutien ne devrait pas être conditionné à des contraintes de quelque nature qu’elle soit. Un accompagnement est nécessaire dans cette situation, sans interventionnisme ni pressions.

B.O