Par : Kamel Zaiem

Il n’est pas pressé et il l’avoue. A priori et à plus d’un mois et demi de ce fameux coup du 25 juillet 2021, Kaïs Saïed donne l’impression de tergiverser, d’hésiter et même de se contredire, mais la réalité pourrait être autre.

Faire sauter la période exceptionnelle

C’est que la nomination d’un chef de gouvernement a beaucoup tardé, selon nos honorables hommes politiques qui ont hâte de voir cette situation exceptionnelle prendre fin car, pour eux, elle ne peut que constituer un grand danger.

Ceux qui ont eu à gouverner, à travers leurs partis politiques au pouvoir ou au sein du Parlement et des gouvernements de l’après-2011, semblent perdre, de jour en jour, leur lucidité face à un présent qui ne bouge même pas et un lendemain très incertain où tout peut arriver.

Et à ce jeu là, le président de la République ne semble guère pressé ou contraint d’agir vite. Ses propos lors de sa dernière réunion avec trois éminents spécialistes en droit constitutionnel viennent confirmer qu’il est en train de préparer le terrain à ce nouveau gouvernement, conscient qu’il est de ne pas mettre la charrue avant les bœufs.

Gare à la précipitation

Car, évidemment, une nouvelle équipe gouvernementale est-elle capable de faire du bon travail alors que la route demeure encore endommagée par des décennies de désordre et de totale corruption à tous les niveaux ?Il a raison de préciser que « Former un gouvernement est important, mais ce n’est pas une finalité en soi, le plus important étant d’avoir une vision de la politique du gouvernement. J’aurai pu désigner un gouvernement le lendemain du 25-juillet, mais on serait restés dans la même configuration que celle vécue durant les dix dernières années».

Le Parlement demeure désert, comme le veut et l’impose Kaïs Saïed

Cette mise au point vient tout mettre au clair : Saïed veut aller au bout de la purge qu’il a entamée et ne veut prendre aucun risque quant à un éventuel retour de manivelle.

Cette démarche, à la fois logique et dangereuse avec une situation exceptionnelle qui dure de plus en plus, a de quoi gêner, voire terrifier les opposants de Saïed.

C’est qu’ils sont dans une très embarrassante position d’attente avec très peu de lumière sur ce qui se trame au palais de Carthage.

Pour une classe politique habituée à tous les écarts dans une totale impunité, ce qui se passe depuis le 25 juillet n’est point rassurant.

Peur et incertitude

Et ce sont les hommes politiques et les hommes d’affaires qui ont longtemps cohabité avec les réseaux et les barons de la corruption qui ont encore plus peur que les autres.

Pour le moment, certains demeurent encore intouchables ou pas concernés par des mesures judiciaires particulières, mais ils sont sur le qui vive, craignant à tout moment d’être appelés à rendre des comptes.

D’autres, plus impliqués dans des affaires de corruption qu’ils pensaient à jamais enterrées, vont devoir attendre un sort incertain, sous bonne garde. Pas de voyage ni de liberté totale de circulation, et surtout pas de répit avec cette attente lourde et très menaçante.

C’est dans ce contexte que survient l’appel de quelques députés ayant appartenu à des partis grandement accusés de corruption, pour trouver une issue à cet inquiétant statu quo, à l’image de Yadh Elloumi, l’ancien homme fort de Qalb Tounès, qui vient de lancer un appel à tous les députés pour démissionner et permettre plus facilement au président de la République de dissoudre le Parlement.

La volonté du peuple avant celle des partis politiques

L’échappatoire parfait

A y réfléchir, ce député semble avoir fait travailler toutes ses neurones pour trouver une telle solution. Ça va permettre de quitter la scène politique, momentanément ou définitivement, sans avoir à passer par la justice ou à rendre des comptes au moment où tout le pays sera plongé dans la préparation de nouvelles élections législatives.

C’est dire que ça s’agite dans le giron des partis politiques beaucoup plus qu’au palais de Carthage avec un président de la République qui prône la lenteur, au grand dam de ses adversaires qui souhaitent le voir accélérer les pas et, pourquoi pas, trébucher et leur permettre de rebondir et de s’en sortir aux moindres frais.

Ceci confirme la « peur » qui envahit une scène politique habituée aux largesses, au laisser aller et à une désolante impunité qui leur a permis d’être ce qu’ils sont aujourd’hui.

D’ailleurs, plusieurs dossiers cachés commencent à faire du bruit avec des noms qui semblaient incorruptibles et qui pourraient surprendre plus d’un si les faits donnent raison aux rumeurs qui circulent.

C’est dans un tel contexte que le président de la République poursuit son petit bonhomme de chemin. Il sait parfaitement qu’il n’a pas de droit à l’erreur après avoir pris les rênes en main et qu’il est condamné à aller au bout de ses intentions pour sauver le pays. Un chemin qui ne manquera pas d’embûches et de glissades et qui nécessitera la détermination et le courage d’un homme qui a osé affronter le mal et le soutien sans failles de la part d’un peuple qui doit agir dans le bon sens pour se débarrasser de ces virus et également pour préserver chèrement ses acquis.

K.Z.