Par Soufiane Ben Farhat

C’est ainsi, il y a des phases historiques où les choix s’amoncellent à la que leu leu, en rouleau chinois. Aussi amers les uns que les autres de surcroît. En effet, depuis le 25 juillet 2021 et le coup de force du Président Kaïs Saïed, l’attente s’étire, à l’instar cet été pourri qui joue les prolongations.

Seule une tête des institutions demeure en lice, les deux autres étant suspendues. En fait, la présidence de la République chapeaute tout, la présidence du gouvernement et le Parlement végétant inanimés dans une espèce de no man’s land politique. Dès lors, l’attente de mesures nouvelles s’éternise, nourrissant appréhensions et amalgames.

En premier lieu, nommer un chef de gouvernement

Au fait, les défis sont les qu’ils s’apparentent à la quadrature du cercle. Accaparant à lui seul toute l’actualité, le président Kaïs Saïed voit tous les défis se concentrer autour de lui. Ceux-ci sont de quatre ordres. Tout d’abord, nommer prestement un chef de gouvernement ou un premier ministre. Jusqu’ici, l’été s’accommode du profil plutôt cigale des vacances. Toutefois, à la mi-septembre, avec la rentrée scolaire et universitaire, il est impérieux de se remettre aux choses sérieuses. En d’autres termes, redevenir fourmi.

En vérité, l’opinion, qui a applaudi majoritairement au coup de pied de Kaïs Saïed dans la fourmilière de la classe politique pourrie, est plutôt volatile. Il ne faut surtout pas l’oublier. Et en politique, rien n’est définitivement acquis.

Chef de gouvernement ou seulement « le premier des ministres » ?

Jusqu’ici, plusieurs personnes ont été approchées pour cette charge plutôt périlleuse par les temps qui courent. Grosso modo, les plus sérieuses d’entre elles appréhendent deux choses. Premièrement d’être propulsées de facto sur des sièges éjectables. En d’autres termes officier de prime abord comme des disjoncteurs attitrés.

Chef de gouvernement, premier ministre ou marionnette ?

Par ailleurs, lesdites personnes voudraient assumer pleinement leurs tâches et non point officier comme comparses ou sous-fifres. En somme, avoir les moyens de leur politique. Or, tout porte à croire que le Président Kaïs Saïed soit plutôt enclin à nommer un premier ministre dans le droit fil du système présidentialiste. Si ce n’est pas nommer une espèce de chef d’orchestre des ministres tenu par une partition préétablie. « Vous n’êtes que le premier des ministres », disait le général Charles de Gaulle du haut de son nombrilisme politique paternaliste à ses chefs de gouvernement. On dit même qu’il gardait leur démission dans son tiroir préalablement, avant leur prise de fonction.

Notons en passant que sur les treize gouvernements nommés depuis 2011, tous ont eu maille à partir avec le président de la République. Y compris et surtout lorsqu’ils sont de la même mouvance ou du même parti politique. Tel furent les cas de Habib Essid, Youssef Chahed ou Hichem Mechichi.

Rétablir le Parlement

En fait, les activités du Parlement étant gelées depuis le 25 juillet dernier, cela ne saurait sévir éternellement. Qu’il s’agisse de la fonction législative ou de contrôle, le Parlement participe des fondamentaux de l’Etat de droit. Certes, le Parlement gelé n’est guère l’exemple. Il a nourri en son sein tous les travers de la politique politicienne, mafieuse et pourrie. Même des représentants de terroristes et de grands caïds du crime organisé, interdépendants d’ailleurs, y ont siégé en toute impunité, profitant d’une impunité douteuse et mal à propos. Sans parler des repris de justice, des pédophiles, des analphabètes et des magouilleurs de tout poil.

Un Parlement gangréné par les affaires et la corruption

Quant on sait que trente députés au moins ont été condamnés ou sont poursuivis par la justice pour des affaires de corruption, falsifications, harcèlement sexuel et autres affaires crapuleuses, on comprend l’étendue du désastre. Sans parler des dizaines de députés qui pourraient être poursuivis pour financement illégal et douteux sinon pour blanchiment d’argent et apologie du terrorisme.

Revoir impérativement les lois régissant la vie politique

Certes, dans sa configuration actuelle, le Parlement ne saurait reprendre du service comme si de rien n’était. Sans doute faudrait-il recourir à des élections législatives anticipées. Cependant, il faudrait revoir impérativement et préalablement les lois qui régissent la vie politique. Cela va du décret-loi sur les partis à ceux relatifs au Code électoral, au financement des campagnes électorales, aux associations et aux médias surtout audiovisuels. Certains évoquent la mise en place d’une nouvelle Constitution. Ce qui n’est guère une tâche aisée et encore moins unilatérale (nous y reviendrons).

C’est dire s’il s’agit d’un vaste chantier. En effet, tout ou presque est à revoir. Autrement, rebelote dans l’enfer de la politique mafieuse.

L’économique et le social, une priorité absolue

Entretemps, il ne faut guère reléguer l’économique et le social au titre des derniers des soucis. En effet, sur ce plan précis, le pays est en loques. L’économie est en panne, l’endettement extérieur atteint des seuils faramineux, les prix augmentent d’une manière vertigineuse. L’économie mafieuse et la contrebande sévissent. Qu’il s’agisse des investissements, des créations d’emplois ou des exportations, c’est un fiasco patent. Et la pauvreté s’étend comme une irrépressible marée douloureuse. La classe moyenne rétrécit comme peau de chagrin, les plus démunis s’enfoncent davantage dans l’ilotisme et la misère. L’exclusion atteint son comble. La problématique de l’absence d’eau potable devient un phénomène massif.

Une économie fortement éprouvée

Sur ce plan précis, il faut renverser la vapeur et le plus tôt sera le mieux. L’administration est obsolète, d’un autre âge. Quant aux lois et réglementations sur les investissements et les changes elles témoignent d’archaïsmes navrants. Elles tournent le dos à la modernité, boostent la contrebande et les spéculations, freinent les initiatives les plus généreuses, accroissent les misères.

Relations extérieures en panne

En effet, l’économie immatérielle et numérique, les problématiques de l’environnement et des énergies renouvelables, l’éco-tourisme, le big data, l’intelligence artificielle et la robotique nous demeurent des espaces fermés et inconnus. En fait, le plein investissement en leur sein nécessite pour le moins une refonte globale du système éducatif. Lequel demeure chez nous, hélas, à la traîne. Pourtant, il s’agit de défis réels et urgents auxquels il faut donner des réponses immédiates.

Cela n’est pas sans interférer avec notre positionnement stratégique sur l’échiquier de l’économie-monde. En fait, sur ce plan précis, nous sommes, là aussi, à la traîne, prisonniers de vieux dispositifs. Notre diplomatie végète dans les sentiers battus. Nos échanges s’immobilisent dans les vieux carcans réducteurs. A telle enseigne que nous ne figurons plus sur les radars internationaux.

De surcroît, nous subissons diverses pressions, notamment en ce qui concerne les lendemains du 25 juillet. A bien y voir, cela se recoupe avec les visées impériales des puissants de ce monde. En effet, ne nous y trompons guère, la politique étrangère est le domaine du chantage par excellence. D’ailleurs, on le sait depuis l’aube des temps, les États n’ont pas d’amis, mais des intérêts.

Vision en pointillé

Kaïs Saïed le crie sur les toits : il combat la corruption et il n’y aura pas de retour en arrière. Soit. Encore faut-il également relever les défis de la remise en orbite de la Tunisie dans la galaxie de la modernité. Redorer le blason de la Tunisie viable et vivable et répondre aux infinies requêtes des jeunes désabusés et laissés-pour-compte. Cette jeunesse dont de larges franges préfèrent se jeter à la mer plutôt que mourir de désarroi et de dépit.

Reconnaissons-le. Jusqu’ici, hormis les déclarations d’intention généralistes, si généreuses soient-elles, il n’ y a guère de vision pour une nouvelle économie, un nouveau projet de société, une nouvelle Tunisie. Bien pis, des déclarations fragmentées çà et là par de proches collaborateurs du Président frôlent une ébauche de vision en pointillé, plutôt vaguement suggérée et devinée qu’énoncée.

Combien cela tiendra-t-il encore ? Assurément, l’impatience gagne les rangs des personnes les plus enthousiastes et qui escomptent des mesures salvatrices.

En politique, le temps est une donnée fondamentale. Comme dans la guerre. D’ailleurs, les plus avertis savent pertinemment que la politique est une des modalités de la guerre.

S.B.F