Par: Anouar Diden

Saïf al-Islam Kadhafi a déposé sa candidature à l’élection présidentielle libyenne, dimanche. Mais le procureur de la cour militaire de Tripoli a ordonné la suspension de celle-ci, ainsi que de celle de Haftar.

A peine déposée, la candidature de Saïf al-Islam Kadhafi est-elle remise en cause ? Une lettre et un réquisitoire du procureur de la cour militaire ont été envoyés au chef de la Haute commission électorale libyenne (HNEC), ordonnant à cette dernière la suspension de la candidature de Saïf al-Islam Kadhafi à la présidentielle du 24 décembre prochain.

Ce même document liste les crimes imputés par la cour au fils Kadhafi, mais aussi par le maréchal Khalifa Haftar. Ce dernier avait annoncé sa candidature peu après la promulgation de la loi électorale et le dépôt de sa candidature était prévu pour cette semaine. Le procureur n’impose pas la suspension de la candidature de Haftar mais incite la HNEC à le faire en cas de dépôt cette semaine.

Le chef de la HNEC, Imad al-Sayeh, a immédiatement obtempéré en suspendant la candidature de Kadhafi.

La missive a également été envoyée à six organes des forces armées, ainsi qu’au ministère de l’Intérieur. Le procureur Mohamed Gharouda a ordonné l’arrestation de Saïf al-islam Kadhafi, dont on sait désormais qu’il est sur le territoire libyen, et de Khalifa Haftar. Il rappelle la décision de justice condamnant Kadhafi à mort, en 2015, ainsi que quatre affaires concernant des meurtres de masse imputés au maréchal de l’est, Haftar, pendant la guerre de 2019.

Sur le plan politique, les évènements de ce dimanche, qui ont suivi le dépôt de candidature de Saïf al-Islam Kadhafi, montrent à quel point la Libye peut s’embraser. Alors que l’on craignait des violences post-électorales, le refus des candidatures les plus populaires en vue de la présidentielle libyenne pourraient provoquer le chaos plus tôt que prévu.

Quels candidats ?

La lettre du procureur militaire est légitime, mais son timing pose question. D’autant que Saïf al-Islam Kadhafi est déjà muni de sa carte électorale et a présenté tous les documents nécessaires à sa candidature. Et, du côté de Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL) a démissionné de son poste à temps pour commencer sa campagne.

Kadhafi et Haftar out, qui pourra briguer le poste tant convoité de président de la Libye ? Le futur candidat du pouvoir, le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah, son ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha, le président du Haut Conseil d’Etat Khaled al-Michri, ou le chef du Conseil présidentiel Mohammed el-Menfi risquent également d’être concernés par une suspension de leurs candidatures en cas de dépôt. La loi électorale semble en effet être taillée sur mesure pour que la justice libyenne écarte la plupart des candidats.

Une loi qui, pour rappel, a été promulguée sans vote, en catimini, par le président de la Chambre des représentants Aguila Salah. Ce dernier avait procédé à la promulgation du texte, selon « les recommandations de l’ONU », au lendemain de sa rencontre avec le Haut représentant de l’Union européenne Josep Borrell. Aguila Salah est un proche de Haftar, le rival de Tripoli et ennemi des kadhafistes.

Est-ce le début d’un conflit civil larvé qui empêchera la tenue des élections ? En tout cas, le Conseil présidentiel libyen s’était ouvertement opposé à l’agenda précoce des élections, tout comme les pays voisins et les pays africains. A vrai dire, à l’exception de l’ONU, de l’UE et de la MANUL, personne ne veut réellement de ces élections de décembre.

L’Occident reverra-t-il sa position ?

Le vrai enjeu pour la stabilité du pays n’est d’ailleurs pas le scrutin. Dans ce pays divisé et sinistré par la guerre, les diplomaties étrangères ne cessent de demander le départ des troupes étrangères et l’aboutissement des pourparlers entre les factions libyennes avant d’en passer par les urnes. Sans quoi, l’élection sera indéniablement source de conflits.

Mais sur ces deux dossiers, l’intervention occidentale maladroite a arrêté net les efforts déployés, qui ne jure que par les élections. La perspective d’un Haftar, candidat unique, bien qu’il soit poursuivi pour des massacres de civils et des crimes de guerre, plaisait à une partie de la communauté internationale. Mais, comme l’ont montré les manifestations de joie des populations dans la journée de dimanche, la candidature de Saïf al-islam Kadhafi devait rétablir un peu d’équilibre sur une scène politique aux ordres des capitales occidentales.

Reste à savoir, quelle sera la prochaine étape en Libye, pour l’exécutif actuellement en place. Attaquer Haftar est inconcevable, car l’homme est entouré d’une armée toujours performante. Et si tripoli s’en prenait à Saïf al-Islam Kadhafi, ou essayait de le capturer, les milices du sud répliqueraient immédiatement.

Or, pour Kadhafi comme pour Haftar, la situation n’est pas aussi confortable qu’il n’y paraît. En se présentant en tant que candidats, les deux hommes doivent montrer qu’ils sont présidentiables. Et être à la tête d’une faction armée n’est pas suffisant, il faut aussi garantir la paix dans leurs régions respectives. Et le chaos pré-électoral qui s’annonce pourrait bien pousser les Occidentaux à revoir leurs positions respectives dans un dossier libyen de plus en plus explosif.

Le journal de l’Afrique – JDD Tunisie