Par Soufiane Ben Farhat

Un train en cache un autre dit-on. Celui de la détresse sanitaire due au Covid 19 cache celui de la pauvreté latente qui se creuse et de l’appauvrissement brutal qui fait irruption. Cela se vérifie tant en Tunisie qu’ailleurs.

Les milliardaires se sucrent

Cité par les médias, un récent rapport de l’ONG Oxfam est on ne peut plus explicite : « Tout le monde ne gardera pas un si mauvais souvenir des années 2020-2021, qui ont vu l’activité mondiale chuter (-8,3 % en France en 2020). Les milliardaires sont les grands bénéficiaires des déversements de liquidités par les banques centrales pour soutenir l’économie. Mais ils ne sont pas les seuls à sourire.

C’est un paradoxe : un an après le début de la plus grande crise mondiale depuis celle de 1929, les indices boursiers ne tiennent plus aucun compte du problème. L’activité économique s’est effondrée de 4,9 % dans les pays industrialisés, mais après un affolement printanier, les Bourses ont retrouvé leur niveau de février 2020, comme si tout allait bien.

L’exemple français

En France, certains titres ont même fait un bond en avant : le géant du luxe LVMH a grimpé de plus de 25 % et L’Oréal de 16 %. De quoi enrichir encore plus leurs propriétaires respectifs, les familles Arnault et Bettencourt, ainsi que tous les autres actionnaires. « Les milliardaires français […] ont gagné près de 175 milliards d’euros entre mars et décembre 2020, dépassant ainsi leur niveau de richesse d’avant la crise. C’est la troisième plus forte progression, après les Etats-Unis et la Chine.» (  « Milliardaires, Gafam, Chine… Ce sont eux les grands gagnants du Covid »Le Nouvel Observateur du 14 février 2021).

Pauvreté rampante

Sous nos cieux, la réalité ne semble guère différente, même si la réalité demeure opaque. Toutefois, nous disposons de quelques données qui reflètent l’envers du décor. En vérité, elles se rapportent surtout à la pauvreté. En effet, celle-ci a gagné en ampleur. D’ailleurs, les données officielles en témoignent.

Ainsi, M. Mohamed Trabelsi, ministre des Affaires sociales a-t-il déclaré que le gouvernement est venu en aide à 1.174.000 Tunisiens directement touchés dans leurs revenus par la pandémie du Covid 19. De son côté, le vice-président de la Banque mondiale a rapporté que le taux de la pauvreté en Tunisie est de 21%. En fait, a-t-il encore fait valoir, c’est un record historique jamais atteint depuis 1956, l’année de l’Indépendance.

Par ailleurs, la Banque mondiale a déclaré que le PIB de la Tunisie a régressé de 8%. En effet, là aussi, c’est un triste record depuis 1956.

Près de quatre millions de pauvres

Le gouvernement n’en parle guère directement, mais il le consent par voies détournées. Ainsi, a-t-il publié la semaine passée un communiqué faisant état d’un nouveau prêt de la Banque mondiale de 300 millions de dollars. Il est destiné à venir en aide à un million de familles pauvres, toujours selon le même communiqué. Soit quatre millions de Tunisiens au moins. Depuis, les vrais chiffres de la pauvreté avoisinent les 30% de la population tunisienne. En fait, on peut facilement taxer la pandémie du coronavirus chez nous en tant que virus de la pauvreté.

L’Etat providence, ce grand absent

Mais il y a une vérité historique phagocytée. En effet, l’histoire des pandémies depuis mille ans démontre qu’elles sont de grands vecteurs générateurs d’exclusion et de pauvreté. Au XXe siècle, on a inventé l’Etat providence à la faveur, paradoxalement, des guerres et des épidémies. Ce fut aussi le cas depuis l’apparition des régimes communistes, sociaux-démocrates et de l’irruption des États nouvellement indépendants en Afrique, Asie et Amérique dite latine. Mais la mondialisation a remis tout en cause. Désormais, on ne juge plus que par le grand capital, les multinationales, le profit. L’homme est remis aux oubliettes de l’histoire en marche forcée.

Chez nous aussi, la révolution de la dignité et de la liberté a accouché, au bout du compte, du capitalisme mafieux. Douze gouvernements en dix ans, plus de quatre- cents ministres et différents partis sont logés à la même enseigne. Les responsables n’ont guère de programme de société. Ils n’ont qu’un seul mot d’ordre, l’endettement extérieur et les affaires véreuses sur fond de corruption endémique. En fait, leur leitmotiv semble se réduire à « enrichissons-nous, les autres on n’en a cure » !

S.B.F