Par Soufiane Ben Farhat

Un président de la République qui pose devant les caméras à l’occasion de l’obtention purement honorifique d’un hypothétique doctorat en Italie. Le président du Parlement qui n’en finit pas d’ourdir combines et subterfuges en vue de contrecarrer la percée d’un parti rival. Un chef du gouvernement qui compare en les palpant entre robes et gandouras à la foire de Sfax. Entretemps, l’épidémie du coronavirus ravage Kairouan, Sidi Bouzid, Kasserine, Béja et nombre de gouverneras intérieurs.

En fait, même les décisions décidées hier sont de l’ordre du trop peu, trop tard. Elles interviennent dans le temps inutile. Auparavant, la présidence de la République et la présidence du gouvernement avaient bien paradé avec les maquettes de projets sanitaires grandioses à Kairouan. Mais c’est toujours lettre morte.

Carences et laxisme

En effet, pour ces gens-là, les souffrances du Tunisien, son malheur sont l’acte muet de la politique. Leur petit prestige importe beaucoup plus que les vicissitudes éprouvées dans sa chair par le commun des citoyens.

Pourtant, pour ce dernier, chaque jour du Seigneur est un chemin de croix. Renchérissement des prix, chute du pouvoir d’achat, crasse généralisée, criminalité, insécurité et corruption endémique sont légion. Malheureusement, nos hauts responsables n’en ont cure. Tout au plus en référent-ils par intermittence et du bout des lèvres. Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Hélas, non. Et le crash semble imminent.

En fait, tous les secteurs névralgiques sont en panne. Le laxisme étatique n’a d’égal que le surinvestissement corporatiste des syndicats et des corps de métier. Il n’y a plus guère de contrat social. Chacun pour soi et advienne qu’adviendra.

L’Etat je m’enfoutiste

Pourtant, la crise est majeure. Un peu partout dans le monde, on revient aux fondamentaux de l’Etat-providence. Sauf sous nos cieux. C’est bien l’Etat je m’enfoutiste qui sévit chez nous.

La grave vague de coronavirus que nous subissons ces jours-ci est en grande partie due aux carences des autorités. Aujourd’hui même, nous manquons tragiquement de vaccins. Et nul ne peut dire ni assurer combien nous en aurons à brève ou moyenne échéance. Des trois millions de vaccinés prévus initialement fin juin, nous en avons au bout du compte à peine quatre cent mille. Le port obligatoire des masques est presque inexistant à défaut d’octroi des masques à large échelle, de sensibilisation et de dissuasion pointilleuse au besoin. Quant aux prises en charge des cas graves, elles n’existent pas.

Mesures contreproductives

Il faut bien se fier aux évidences. Les récents retours en force de la pandémie résultent bien des mesures et contre-mesures décidées au cours du mois de ramadan et à l’occasion des fêtes de l’aid. Par faiblesse, populisme ou soumission aux désirs des lobbies, on a décidé en un temps record la chose et son contraire. Cela s’est avéré éminemment contreproductif. Pourtant, bien des observateurs avaient averti alors des éventualités de ces issues tragiques. N’empêche, nos hauts responsables ont fait la sourde oreille.

Cheffisme à tout-va

Malheureusement, des considérations politiciennes président à ce cafouillage généralisé. En premier lieu, la lutte sans merci que se livrent les « trois présidences ». Résumons. D’abord, chacun clame à tout vent : « L’Etat, c’est moi » et personne n’assume les responsabilités qui lui sont constitutionnellement imparties. Kaïs Saïed le répète souvent : je suis le seul et unique chef de l’Etat. Hichem Mechichi croit dur comme fer que le chef du gouvernement n’est guère la bonne à tout faire du président de la République.

Cependant, s’il a théoriquement raison, il pousse le bouchon trop loin. Au point d’agir comme l’homme fort réel, unique, incontestable et irremplaçable. En effet, son cumul des charges de chef du gouvernement et de ministre de l’Intérieur, depuis six mois l’atteste. Par ailleurs, son bras de fer avec le président de la République pour le contrôle du ministère de l’Intérieur est on ne peut plus manifeste. Quant à Rached Ghannouchi, président du Parlement, il s’arroge volontiers les prérogatives du chef incontesté, empiétant volontiers sur le domaine réservé des autres hauts responsables. En bref, c’est le cheffisme à tout-va.

Querelles d’egos surdimensionnés

Malheureusement, il en résulte une perpétuelle querelle d’égos surdimensionnés. En effet, on s’attendait à la tenue d’un conseil national de la sécurité prenant à bras le corps les défis de la pandémie meurtrière. Il n’en fut rien. Pourtant, coups fourrés, coups bas, alliances, contre- alliances et manœuvres de politique politicienne se succèdent.

Mais ce n’est pas tout. Même le comité scientifique indépendant de lutte contre le virus n’est pas épargné. En fait ses déclarations, communiqués et actions sont en flagrante contradiction. En vérité, il semble le plus souvent aux prises avec le ministre de la Santé, lequel est tiraillé entre les exigences et les pressions contradictoires de la présidence du gouvernement et la présidence de la République.

Goya disait bien que le sommeil de la raison engendre des monstres.

S.B.F