Par : Kamel Zaiem

Tunisiens et Libyens ne peuvent qu’être contents des perspectives de coopération bilatérale qui vont être officiellement mises en place au menu des nouveaux accords signés ces derniers jours à Tripoli.

C’est dire qu’entre la Tunisie et la Libye, une nouvelle page vient de s’ouvrir avec beaucoup de promesses et des horizons encourageants pour les deux pays. Or, certaines mesures annoncées par le gouvernement doivent être discutées avec toutes les composantes de la société civile parce qu’elles suscitent, déjà, des appréhensions et des craintes légitimes et logiques.

Horizons encourageants

C’est Kaïs Saïed, le président de la République, qui a donné le ton de la reprise d’une coopération à grande échelle. Il était le premier chef d’Etat à visiter la Libye après l’installation du nouveau gouvernement de transition dirigé par Abdelhamid Dbeibah. Saïed a évoqué, lors de cette visite, un « établissement de nouvelles visions qui renforcent les liens de coopération existant entre la Tunisie et la Libye, et une solidarité globale qui répond aux aspirations légitimes des deux peuples frères à la stabilité et au développement ».

Sur son sillage, la dernière visite de Hichem Mechichi, le chef du gouvernement,  à Tripoli avec une très importante délégation d’hommes d’affaires a ouvert beaucoup d’horizons à la coopération bilatérale, mais cet acharnement à tout partager avec la partie libyenne risque de créer certains problèmes et ce sujet mérite d’être soigneusement débattu chez nous.

Or, il s’agit bien d’un renforcement de liens économiques entre deux pays, deux peuples et deux gouvernements et aucune partie ne doit être lésée par ce rapprochement. Certes, la Tunisie, avec sa situation actuelle de plus en plus dramatique sur le plan économique avec de graves répercussions sur la gestion de la pandémie et sur le climat social, a besoin d’entreprendre de telles relations privilégiées avec le voisin libyen capables de relancer l’activité économique et de redonner de l’espoir à un peuple qui ne veut plus des solutions radicales d’endettement excessif, mais il va falloir de prendre en considération plusieurs facteurs qui risquent de rendre ce rapprochement historique une source de maux imprévus.

L’accord porte sur les domaines du transport (terrestre, maritime et aérien), du commerce transfrontalier et de la libre circulation des personnes. D’après le nouveau premier ministre libyen Abdelmadjid Dbeibah, des commissions conjointes seront également mises en place pour établir des plans communs de coopération dans ces secteurs. De même, les nouvelles autorités libyennes ont annoncé qu’elles apporteraient leur aide à Tunis pour la gestion de la pandémie du Covid-19.

Accord de coopération et non de mendicité

Tout ceci est bon, voire très important pour les deux pays. Toutefois, la manière dont usé la délégation tunisienne au cours de ces pourparlers, Mechichi en tête, laisse à désirer. A voir les Tunisiens parler de ces accords et promettre monts et merveilles aux Libyens en visite en Tunisie ou ceux qui y résident déjà, on a l’impression que toute cette équipe envoyée en Libye s’est attachée au même menu de négociation avec des mains tendus et des promesses qui dépassent le seul vouloir du gouvernement.

Lorsqu’on évoque la permission aux Libyens d’acquérir des biens immobiliers en Tunisie avec les mêmes droits accordés aux Tunisiens, on risque de créer des malaises et des craintes justifiés, car traiter nos voisins, qui arrivent avec des fortunes, de la même façon que nos citoyens au revenu moyen pour ne pas dire bas, fait partie du non-sens et risque de voir les prix du marché immobilier, déjà injustement coûteux, flamber encore plus et l’acquisition d’un simple appartement en Tunisie risque de devenir une mission impossible pour les Tunisiens alors qu’elle constitue un jeu d’enfants pour les millionnaires libyens.

Suivre l’exemple égyptien

C’est pour cette raison que la délégation tunisienne aurait dû traiter avec plus de pertinence et moins d’esprit de mendicité qui semble, malheureusement, s’emparer des responsables tunisiens en matière d’économie puisqu’ils se sont habitués à tendre la main et à attendre l’aumône de la part des autres partenaires.

Il y a lieu de rappeler que l’Egypte vient de signer de nombreux accords avec la nouvelle direction politique en Libye, sans faire des concessions plus ou moins embarrassantes.

Saura-t-on rectifier le tir au moment de mettre à exécution les accords révélés à Tripoli ?

Nous verrons bien car avec un tel gouvernement, habitué à faire les choses en catimini, de nouveaux errements ne sont pas à écarter. Il y a déjà une semaine, la délégation tunisienne, partie discuter à Washington les modalités d’acquérir une nouvelle aide du FMI, a présenté un programme de promesses conçu uniquement par le gouvernement et qui s’est avéré « difficile à avaler » pour les différentes composantes de la société civile.

A priori, la leçon ne semble pas avoir été retenue… !