Par Soufiane Ben Farhat

Un virus corrompu et antidémocratique ça existe ? En effet, sous nos cieux, la question est posée. Aussi paradoxal que cela puisse paraître. C’est que la classe politique tunisienne en a administré la preuve par l’absurde. D’ailleurs, voilà bien une année et des poussières qu’on baigne dans une atmosphère plombée par la propagation du virus et des affaires de corruption qui y sont liées. Quant aux atteintes aux libertés, elles ont été, elles aussi, au rendez-vous.

Cependant, le rappel des faits saillants s’impose. On détecte le premier cas d’atteinte au coronavirus le 2 mars 2020. Quelques jours après, éclate l’affaire de la fabrication des masques de protection et de la fuite préalable du cahier de charges y afférant. En fait, le ministre de l’Industrie et des PME d’alors, Salah Ben Youssef, avait chargé unilatéralement et de gré à gré un député, propriétaire d’une usine de textile, de fabriquer 2 millions de bavettes. Et ledit député, du parti d’Al Badil Ettounsi, appartient précisément à la coalition gouvernementale. C’est dire l’ampleur du véritable tollé dans l’opinion.

suspicion de corruption autour de la confection des bavettes

Violation des principes de la bonne gouvernance

L’Instance générale du contrôle des dépenses publiques diligente une enquête. Celle-ci a été effectuée du 17 au 23 avril 2020. Elle est menée auprès de la Fédération Tunisienne du Textile et de l’Habillement, de la Pharmacie Centrale de Tunisie, du ministère de l’Industrie et des PME, du ministère de la Santé, du ministère du Commerce et du Centre Technique du Textile. Son verdict est on ne peut plus clair.

En définitive, il s’agit bien d’un conflit d’intérêts et d’une violation de l’article 25 du règlement intérieur de l’Assemblée des Représentants du Peuple. Bien pis, l’enquête accuse le ministère de violation des principes de la bonne gouvernance. En effet, l’affaire a été concoctée informellement. Ajoutons-y l’absence de commissions, de définition des prérogatives, des spécialités et des structures. En plus, il n’y a pas eu non plus de procès-verbaux à l’issue des réunions. A la bonne franquette en somme. Dans l’opacité grise et sur le droit chemin des dessous de table.

Corruption et conflits d’intérêts

Au bout du compte, le haut commis de l’Etat et le député demeurent dans l’impunité. Et pour cause. Le ministre prétend qu’il ne savait pas que l’industriel était député. De son côté, le député avouera qu’il ignorait tout simplement la loi.

Quelques jours après un autre scandale éclate. Cette fois, il engage le chef du gouvernement fraîchement constitué, Elyès Fakhfakh. On relève un grand nombre de flagrantes irrégularités. En fait, elles se rapportent à l’élaboration du cahier des charges relatif à l’appel d’offres de l’Agence nationale de gestion des déchets, qui avait conclu un marché avec le groupement Valid, dirigé par Elyès Fakhfakh pendant son exercice à la tête du gouvernement. Confronté aux faits, le chef du gouvernement s’empêtre dans le déni.

Démission du gouvernement d’Elyès Fakhfakh

Re-tollé dans l’opinion. Une enquête est mise en place. Entretemps, le gouvernement Fakhfakh démissionne. L’enquête imputera la responsabilité des irrégularités au ministère de l’Environnement, à la commission d’évaluation des offres et à l’Agence nationale de gestion des déchets. Le rapport final a été soumis il y a peu au Pôle judiciaire financier.

Deux autres affaires de corruption voient le jour. Ainsi, là aussi, on baigne dans l’impunité. Les prix des bavettes sont à géométrie variable. Aussi, s’affichent-ils du simple au double, voire au triple. D’ailleurs, les officines en manquent. En même temps, les gargotiers et les échoppes de revendeurs de glibettes en revendent.

Puis ce sera au tour de deux-cent mille doses de vaccins antigrippe de se volatiliser étrangement entre la pharmacie centrale et les entrepôts des grossistes. Jusqu’à ce jour, le trafic en cause demeure inconnu. Mystère et boule de gomme.

Mais on n’est pas au bout de nos peines. En effet, l’affaire des vaccins anticovid exfiltrés via l’ambassade des Emirats arabes Unis date de la fin de la semaine dernière. Il faut savoir que les derniers mois ont été particulièrement ravageurs au niveau de la propagation de la pandémie. Le nombre des Tunisiens affectés au coronavirus au 31 août 2020 ne dépassait pas les 3.803 cas totalisant 77 décès en six mois. Les chiffres ont été quasiment multipliés par cent les six mois ultérieurs. Aujourd’hui, les cas confirmés dépassent les 235.000 et le nombre des décès déclarés dépasse les 8.000.

Vaccins anticovid exfiltrés

Le mercredi 3 mars 2021, le nombre total de cas est de 234 231, le nombre de guérisons est de 199 476, le nombre de décès est de 8.047. Le taux de mortalité est de 3,44%, le taux de guérison est de 85,16% et le taux de personnes encore malade est de 11,4%.

https://coronavirus.politologue.com/coronavirus-tunisie.TN#tableau

Le gouvernement avait promis de ramener les vaccins au cours du mois de janvier 2021. Hélas, il n’en fut rien. On a parlé aussi de leur arrivée à la mi-février. Re-rien. On les a annoncés pour début mars. Toujours rien de rien.

Puis on découvre le weekend dernier qu’un millier de doses de vaccins sont entrés en Tunisie subrepticement via les Emirats Arabes Unis depuis plus ou moins trois mois. Ils auraient été fournis à la présidence de la République. Précisément, l’information a fuité de l’ambassade des Emirats à Tunis. En fait, on déplore le manque de transparence de Carthage vis-à-vis de cette affaire. Et l’on soupçonne que de hauts responsables se soient fait vacciner à l’insu des Tunisiens toujours privés de vaccins. La présidence de la République confirme le 1er mars à l’agence Reuters la réception de 1.000 doses de vaccins contre le COVID-19. Il s’agit bien d’un don des Emirats Arabes Unis, mais ni le président ni ses proches et les gens de son entourage n’ont été vaccinés précise-t-on.

Les Tunisiens ne croient plus en rien

De guerre lasse, les Tunisiens ne croient plus en rien. En outre, ils se relâchent au fil des jours. Alternativement, leur scepticisme est on ne peut plus manifeste et affiché. On porte de moins en moins de bavettes, on ne respecte plus les gestes barrière et la distanciation sociale. A les entendre, ça ne sert plus à rien. En guise de justification, ils citent les meetings géants rassemblant des milliers de personnes et organisés au cours des deux dernières semaines par le Parti Destourien Libre (à Sousse) et par le parti Ennahdha et le Parti Ouvrier (à Tunis).

C’est dire autant de faisceaux de faits qui rendent la réalité aberrante et fantasque.

Mouvements sociaux et répression tous azimuts

En outre, il n’y a pas que la corruption et les conflits d’intérêts. Il semble bien que l’atteinte aux libertés soit devenue monnaie courante. Ainsi, du 1er janvier au 23 février 2021, la Tunisie a enregistré 2.675 actions protestataires selon le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux. En soi, cela constitue une augmentation de 31% par rapport à la même période l’année dernière. A eux seuls, les sit-in ont représenté l’équivalent de 1.845 jours de travail.

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Au final, la majeure partie de ces mouvements ont été durement réprimés. Ils se sont soldés par plus de mille arrestations et des actes de torture, sévices et traitement inhumain et dégradant. En effet, plusieurs avocats et organisations de droits de l’homme en ont fait état. Tel est le cas de la Ligue tunisienne pour la défense des Droits de l’homme.

En fait, ici comme ailleurs, c’est le même sinistre topo. A l’instar de ce qui s’est passé dans divers pays, comme l’avait déploré M. António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, à l’occasion de la journée mondiale de la démocratie. En réalité, le recul des libertés l’emporte. Mais les gouvernants n’en ont cure.

Nous y reviendrons.

S.B.F