Le président de la République Kais Saied continue de mener la danse et de faire la pluie et le beau temps. Depuis l’annonce des mesures exceptionnelles le 25 Juillet, chaque apparition est interprétée, des fois, de mille et une façons. Mais nul ne peut deviner ses intentions. On ne fait que scruter ses gestes et ses attitudes pour essayer de comprendre ce qu’il veut au juste, parce qu’on sait ce qu’il ne veut pas.

Hier, il a préféré se rendre dans la ville symbole de Sidi Bouzid, le berceau de la révolte de Décembre 2010, pour démontrer à ses « accusateurs » et ses adversaires politiques  qu’il est libre de ses mouvements et que, contrairement à ceux qui se réunissent dans les salons pour comploter contre leur pays, lui n’a peur de rien ni de personne et qu’il est là, toujours debout, solide et droit dans ses bottes pour sauver l’Etat de la déliquescence et le pays de leurs manigances.  

Nouvelle organisation des pouvoirs publics

En 45 minutes, micro à la main, en face de plusieurs dizaines de citoyens rassemblés dans l’esplanade du gouvernorat et chauffés à blanc, appelant à la dissolution du parlement et scandant des slogans hostiles à Ennahdha et ses alliés, il a prononcé un discours belliqueux à la limite de l’agressivité. Toujours menaçant, vociférant et vitupérant, il a sermonné, sans les nommer, ceux qui font partie de « l’axe du mal », cet axe qui représente « un péril immanent » pour le pays et en premier lieu le parlement où tout s’achète et se vend.

Comme nous l’avons expliqué dans une précédente chronique, sa conception des gens relève d’une catégorisation en deux groupes : les bons et les méchants. Ces derniers n’ont pas de place dans le pays, son pays à lui. Prenant à son compte cette division, il traite les Tunisiens de manière stéréotypée. Et c’est lui qui dit vrai et qui a toujours raison. Du pur solipsisme.

Le chef de l’Etat a levé le voile sur une partie de son projet, pour éviter d’utiliser le terme feuille de route qu’il exècre. L’état d’exception ne sera pas levé de sitôt et sera prorogé jusqu’à nouvel ordre. Entre temps, des dispositions transitoires seront mises en place avec la promulgation d’un texte définissant « l’Organisation provisoire des pouvoirs publics ». En somme, la suspension provisoire de la Constitution, sans pour autant toucher au chapitre relatif aux « des droits et libertés » qui demeurent intangibles.

Une fois le texte de l’organisation provisoire des pouvoirs publics promulgué, les activités du parlement actuel resteront gelées, ce qui signifierait une dissolution effective. Le président a, en outre,  annoncé la modification de la loi électorale avant d’appeler à des élections anticipées en vue de la mise en place d’une nouvelle Assemblée représentative de ce que « veut le peuple ».

L’interprète ultime de la Constitution

Sans entrer dans les dédales juridico-constitutionnels, on peut affirmer, sans risque de se tromper, que le chef de l’Etat est décidé d’aller jusqu’au bout de ses intentions, en interprétant la Constitution à sa manière, s’autoproclamant, en sa qualité de président de la République et de théoricien du droit, comme l’interprète ultime de la Constitution. Il aurait déjà présenté son projet de « l’Organisation provisoire de pouvoirs publics » au cours de la dernière réunion avec d’éminents juristes, les deux doyens Sadok Belaid et Mohamed Salah Ben Aissa et le constitutionnaliste Amin Mahfoudh. Et même s’il rappelle qu’il agit à l’intérieur de la Constitution, il en est à la limite s’il n’en est pas complètement à côté. Il nommera, par la suite, un nouveau chef de gouvernement sur la base de ce nouveau texte. On sait déjà que Saied est un fervent défenseur du régime présidentiel. Le 25 Juillet, il avait affirmé que le gouvernement sera responsable devant le président de la République qui nomme ses membres sur proposition du premier ministre.

La Tunisie indépendante a connu deux organisations provisoires des pouvoirs publics. La première en 1956, juste après l’élection de l’Assemblée nationale constituante, avant l’adoption de la Constitution de Juin 1959. La deuxième en 2011, quand la Constituante éluée en octobre de la même année avait adopté un projet de loi en 26 articles organisant provisoirement les pouvoirs publics. Elle a succédé au décret-loi du 23 mars 2011 promulgué par le président intérimaire Foued Mebazaa lequel décret avait suspendu la Constitution de 1959.

La troisième sera certainement beaucoup plus proche de celle de 1956 que de celle de 2011.

B.O