Par : Kamel Zaiem

Au palais de Carthage, on persiste et on signe. Aussi bien le président de la République que son entourage tiennent curieusement et tenacement à leur politique de communication défaillante à plus d’un titre.

Kaïs Saïed n’est pas obligé de faire entendre sa voix chaque jour et ses entretiens quotidiens avec la nouvelle cheffe du gouvernement font partie de son boulot de tous les jours et n’ont pas à être médiatisés de la sorte.

Une image écornée

Car, qu’on le veuille ou pas, cet accaparement du paysage médiatique gouvernemental et de l’actualité politique au pays est souvent mal vu et même déconseillé. Le fait de s’exposer quotidiennement aux caméras et de ressasser les mêmes termes, expressions et messages ne fait généralement que nuire à l’image de celui qui se doit de donner l’exemple et de préférer l’efficacité et l’action au parlote et aux longs et lassants monologues.

Saïed impose à ses hôtes le one man show

Dans les récents entretiens du Président, les images ont été saisissantes et frappantes. Saïed, pensant communiquer à tout prix ses convictions et sa vision des choses, monopolise à cœur joie la parole pour baigner jusqu’à satiété dans les profondeurs de son répertoire, obligeant ses hôtes à suivre en silence et sans aucune réaction ou réplique ce « somptueux » one man show, les laissant se contenter – ont-ils le choix ?- de hochements de la tête pour marquer leur présence.

Le dilemme des chiffres

Et comme si ça ne suffisait pas, le contenu de ces causeries a fait le reste. Il y a quelques semaines, Saïed a évoqué la fortune d’un député et ex-ministre véreux et corrompu, et faisant preuve d’une affligeante faiblesse en matière de chiffres et de calcul, il a confondu les millions et les milliards, provoquant la risée des internautes et le bonheur de ses détracteurs qui l’attendent toujours au tournant pour profiter pleinement de ses éventuels déboires.

Or, la leçon ne semble pas être retenue au sein du cercle présidentiel, comme si l’armada des conseillers au palais se faisaient un malin plaisir à voir leur patron déraper de la sorte.

Un jour après les imposants rassemblements pro Saïed dans plusieurs régions du pays, le président de la République y est revenu lors de ses entretiens avec Najla Bouden, la cheffe du futur gouvernement et Youssef Bouzakher, le président du Conseil supérieur de la magistrature. Enivré par l’impressionnante marée humaine qui a manifesté dans les rues des principales villes pour le soutenir, Kaïs Saïed, pris sous l’emprise de l’euphorie, s’est hasardé à présenter des chiffres ahurissants sans se rendre compte, à priori, de l’énorme différence entre ses chiffres avancés et ceux plus proches de la réalité.

L’entourage du Président doit se montrer plus attentif

Confusion inconcevable

Pour un président de la République, confondre 20 ou 50 mille et… 1,8 million est inconcevable. Et lorsqu’il évoque le même chiffre à deux reprises, devant les caméras, ça devient hallucinant, voire énigmatique. Il s’agit, là, du plus haut responsable politique du pays et d’un leader habitué à communiquer avec ses partisans qui ont appris à lui faire confiance et à prendre ses propos pour de l’argent comptant.

Renseignement pris, le chiffre cité par Kais Saied provient d’un post sur Facebook qui a détourné le chiffre affiché par la chaîne TV5 monde qui se situait au niveau de cinq mille manifestants en un incroyable et insensé 1,8 million.

Ce n’est donc plus l’erreur à elle seule qui est à blâmer, car c’est au niveau de la source que provient le mal. Un président de la République peut-il se permettre de se baser sur des données et des chiffres cités sur Facebook lorsqu’il s’adresse à tout un peuple ?

Entre bonne foi et négligence

Nous ne pouvons guère oser mettre en doute la fidélité et la bonne foi des conseillers du Président, mais lorsque les dérapages se succèdent, on trouve du mal à les considérer comme de simples erreurs et à fermer les yeux face à une telle négligence. Et lorsqu’il s’agit de communication, les conséquences de telles bévues risquent d’être fâcheuses pour ne pas dire dangereuses.

Ce triste épisode des 1,8 million de manifestants mobilisés pour crier leur soutien au Président, qui intervient après d’autres récentes « coquilles », interpelle sérieusement. Kaïs Saïed, l’homme qui a osé prendre tous les risques pour sauver le pays, se doit d’être plus protégé. Ceux qui y veillent ne peuvent pas se permettre de le laisser sombrer dans le monde des chiffres et des informations et nous espérons voir les futurs discours plus soignés et surtout plus crédibles.

K.Z.