Par Brahim Oueslati

Deux ans, jour pour jour, après sa prestation de serment le 22 Septembre 2019, devant les membres de l’Assemblée des représentants du peuple réunie en séance solennelle, le président de la République a promulgué un décret présidentiel relatif aux mesures exceptionnelles pour la prochaine étape. Une manière de fêter ce second anniversaire à la tête de l’Etat qu’il va « sauver de la déliquescence.  » 

On le sait déjà, Kais Saied a un faible pour la Constitution de Juin 1959, celle de la Tunisie indépendante adoptée par la première Assemblée nationale constituante élue en Mars 1956 et promulguée par le premier président de la République Habib Bourguiba. On l’a vu montrer devant ses invités et néanmoins collègues, les universitaires Sadok Belaid, Mohamed Salah Ben Aissa et Amin Mahfoudh, la Une du journal « Al Amal » du 2 Juin 1959, qui reproduisait la déclaration de Bourguiba selon laquelle « une Constitution n’est pas immuable mais plutôt évolutive et que tout texte doit s’adapter à l’évolution de la société ». Il en avait, même, parlé avant cette date avec le secrétaire général de l’UGTT Noureddine Tabboubi.

Références à Bourguiba

La référence au père de la nation, n’est pas fortuite, ni même spontanée. Elle est calculée et Saied en bon expert de droit constitutionnel, sait choisir le moment et l’occasion pour rappeler que le «  Zaim » n’avait pas tort en optant pour le régime présidentiel. Il sait que l’héritage bourguibien est plus que jamais vivace dans les esprits et que « la réémergence de sa figure tutélaire » pourrait être exploitée à bon escient.

Il ne cache pas que le système politique actuel a prouvé ses limites au cours des dernières années. C’est un système hybride qui a largement nui à la stabilité gouvernementale et fracturé les institutions de l’Etat. Même mixte, le régime parlementaire se révèle être une véritable pétaudière pour une démocratie naissante. La Constitution de Janvier 2014, a amoindri la fonction présidentielle. Bien qu’élu au suffrage universel, le chef de l’État se voit parfois confiné dans un rôle purement honorifique. Ce système ne saurait convenir aux jeunes démocraties dont les institutions ne sont pas encore bien implantées. D’ailleurs, la plupart des Instances constitutionnelles n’ont pas encore été mises en place en raison des calculs partisans. La Cour constitutionnelle sensée être installée en 2015, n’a toujours pas été constituée. Et c’est la grande faille exploitée par le président pour s’autoproclamer l’ultime interprète de la Constitution.

Le texte relatif aux mesures exceptionnelles publiée dans le Journal officiel de la République tunisienne ( JORT) de mercredi 22 Septembre est « une petite Constitution » qui ne dit pas son nom. Elle est largement inspirée de la Constitution de Juin 1959 et organise les pouvoirs publics, de manière provisoire, en attendant les amendements relatifs aux réformes politiques, comme annoncé dans le décret. Elle a mis entre parenthèses les deux chapitres relatifs au pouvoir législatif et exécutif qui se trouvent désormais, rassemblés, entre les mains du président de la république. C’est lui qui légifère par décrets-loi qui « ne sont pas susceptibles de recours en annulation ».  C’est lui qui « exerce le pouvoir exécutif assisté d’un Gouvernement dirigé par un Chef du Gouvernement ». Et c’est encore lui qui nomme le chef et les membres du gouvernement qui sera responsable devant lui. Et c’est enfin lui qui « préside le Conseil des ministres et il peut déléguer sa présidence au Chef du Gouvernement ».

Kais Saied a même prévu dans sa « petite Constitution » le cas d’empêchement ou de vacance de pouvoir. Et là, il a, pratiquement, repris le même article de la Constitution de Juin 1959, avant qu’il ne soit modifié après le 7 Novembre 1987. Ce n’est plus le président du parlement qui sera investi des fonctions de la présidence de la République, mais plutôt le chef du gouvernement. « En cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement absolu, le Chef du Gouvernement est immédiatement investi des fonctions de la Présidence de la République, jusqu’ à ce que soit assuré le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Et il prête le serment constitutionnel devant le Conseil des ministres » (article 14).

On s’attend donc à l’annonce de la désignation du nouveau chef du gouvernement et de son équipe. Ce sera certainement une personnalité proche de Kais Saied à la tête d’une équipe qui lui est inféodée. Il a une double mission : veiller à l’exécution de la politique générale de l’Etat, conformément aux directives et aux choix définis par le Président de la République et exécute les orientations et choix définis par le lui.

Quel agenda et quelles procédures?

Toutefois, le décret ne mentionne pas un agenda précis pour en finir avec l’état d’exception qui pourrait prendre beaucoup plus de temps que souhaité. Il n’a pas, non plus, défini les modalités de la mise en œuvre des « projets de révisions relatives aux réformes politiques » qui seront élaborés par le Président de la République. A part la référence à « une commission dont l’organisation est fixée par décret Présidentiel » qui va assister le chef de l’Etat, tout est flou ou presque.

Certes, l’article 22 du décret précise que « les projets de révisions doivent avoir pour objet l’établissement d’un véritable régime démocratique dans lequel le peuple est effectivement le titulaire de la souveraineté et la source des pouvoirs qui les exerce à travers des représentants élus ou par voie de référendum ».

« Ce régime repose sur la séparation des pouvoirs et l’équilibre réel entre eux, il consacre l’Etat de droit et garantit les droits et les libertés publiques et individuelles et la réalisation des objectifs de la révolution du 17 décembre 2010 relatifs au travail, à la liberté et à la dignité nationale. »

Mais connaissant l’opinion de Saied sur les partis politiques qu’il ne porte pas dans son cœur, et son intransigeance sur les principes, et sa totale indépendance, on ne voit pas comment il va procéder. Va-t-il soumettre ces projets à une large consultation avec les formations politiques, les organisations nationales et la société civile, ou aller directement au referendum.

Attendons pour voir.

B.O