Par  Soufiane Ben Farhat

Qui s’excuse s’accuse dit-on. En fait, les exercices contorsionnistes du gouvernement tunisien sont devenus pitoyables. La flambée des prix des produits de base est devenue insoutenable. En revanche, aucune explication par le gouvernement qui, en guise de discours en trompe-l’œil, s’ingénie à répéter que la hausse des prix n’a rien à voir avec les injonctions du Fonds monétaire international (FMI).

Tel fut le cas de M. Hichem Mechichi, chef du gouvernement. A l’en croire, le FMI n’a rien à y voir. Également Mme Hasna Ben Slimane, ministre et porte-parole du gouvernement. En effet, elle n’a pas trouvé mieux que d’asséner que les augmentations des prix des denrées de base ont été avalisées par le Parlement. Comme si ledit Parlement était l’Oracle et ses propos paroles d’Evangile.

Levée brutale des compensations

En fait, depuis quelques semaines, la donne sociale va de mal en pis sous nos cieux. En effet, c’est une véritable levée de boucliers. La valse des prix des denrées de base est telle que c’est devenu insoutenable. Récapitulons. En premier lieu, les augmentations non annoncées ou à peine évoquées du bout des lèvres sont générales. De surcroît, elles touchent l’essence et produits dérivés, le gaz, le lait, le café, l’électricité, l’eau, le transport, le fer, les matériaux de construction, les loyers. Les viandes quant à elles demeurent inaccessibles, à l’instar des fruits et légumes. En somme, autant de produits généralement compensés depuis cinquante ans.

Si ce n’est pas là obéir aux injonctions draconiennes du FMI ! En vérité, ce dernier a conditionné l’octroi d’un nouveau prêt à la Tunisie à la mise en place de diverses mesures impopulaires et contraignantes. De fait, parmi celles-ci, la levée des compensations sur les hydrocarbures et dérivés. Nul ne saurait éluder cela.

Dialogue social en berne

Est-il en berne ou en panne ? En tout cas, le dialogue social est pratiquement inexistant en Tunisie. Pourtant, on a bien créé il y a quelques années un haut Conseil du dialogue national. D’ailleurs, tous les partenaires sociaux en sont partie intégrante. Il a tenu une unique réunion, orpheline, il y a trois ans. Puis plus rien. Tout va très bien madame la marquise.

En même temps, les centrales ouvrière et patronale semblent essoufflées. Elles ne contrôlent plus leurs bases. Leur modus operandi est plutôt suranné et archaïque. Elles ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Autrement, ce sont des coquilles vides.

Le pouvoir d’achat du citoyen ? Le gouvernement n’en a cure. Il s’en soucie visiblement comme d’une guigne. Un peu partout dans le monde, pandémie du Coronavirus aidant, l’Etat providence rapplique. Sauf sous nos cieux. Le capitalisme sauvage et débridé sévit. La paupérisation se répand. Partout, l’’inflation galopante en rajoute au marasme.

La crise politique encore et toujours

Qui ne connaît la fameuse phrase du baron Louis : « Faites-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances ». Paradoxalement, chez nous, la mauvaise politique induit la crise et la mauvaise monnaie chasse la bonne.

En vérité, nous vivons un état de crise permanente depuis les élections législatives et présidentielle de l’automne 2019. A preuve, la majorité gouvernementale vacillante. Les relations entre le président de la République, le chef du gouvernement et le président du Parlement sont en dents de scie. La pandémie du coronavirus aidant, la corruption a fini par être institutionnalisée. Les hauts responsables politiques et les dirigeants des partis y jouent les premiers violons.

L’économie est en panne. En effet, le PIB a reculé de 12 % l’année dernière : « une première depuis 1962 » a assuré le gouverneur de la Banque centrale devant les parlementaires. Le taux de chômage avoisine les 18 %, la pauvreté touche plus de 20 % des citoyens.

Là où on escomptait des mesures d’accompagnement salutaires, le couperet de l’indice des prix achève le citoyen lambda. Complice, empêtré dans le stratagème sournois qui se trame dans l’ombre, le gouvernement laisse faire.

Clochardisation et méfiance

La vie publique et privée se dégrade à vue d’œil en Tunisie. Triste bilan. En cause, la cherté de la vie et la précarité sociale. Outre les plus indigents, la classe moyenne légendaire qui caractérisait notre pays même du temps de l’ancien régime n’a plus droit de cité. Elle se prolétarise, elle souffre, elle désespère.

Emeutes à Tunis l’année dernière contre la hausse des prix

En revanche, la cohorte des nouveaux riches, privilégiés du système, parvenus et bureaucrates invétérés se gonfle. Ils sont tous partie intégrante du nouvel establishment politique. Comble de l’ironie, ils ne cessent de rabâcher des slogans et envolées lyriques soi-disant révolutionnaires et néo-démocratiques.

Pour le commun des Tunisiens, les responsables politiques sont tous, ou presque, des voleurs, des usurpateurs. Ils s’en méfient comme de la peste. Il n’y a qu’à deviser avec le premier venu dans quelque espace public pour s’en rendre compte.

Souscrire que le gouvernement obéit à l’agenda de bailleurs de fonds peu scrupuleux du vécu de millions de Tunisiens, c’est un constat amer. Que le Tunisien vive la plus grave crise de son histoire contemporaine, c’est là aussi une évidence. Que les responsables politiques nient tout et continuent leur sinistre requiem, c’est le drame.

S.B.F