L’entretien téléphonique qu’a eu samedi le président tunisien Kaïs Saïed avec son homologue français Emmanuel Macron a créé la controverse car chacune des deux présidences en a donné un compte-rendu différent. D’abord il faut bien saisir qu’un président de la République ne prend pas son téléphone et appelle son homologue quand cela lui chante.

Un entretien téléphonique à ce niveau nécessite un accord préalable suite à une démarche faite à travers les ambassades et les ministères des affaires étrangères. Evidemment, il se fait en présence d’un ou de plusieurs collaborateurs de l’un et l’autre des chefs d’état qui prennent des notes et préparent à la fin un compte-rendu qui sera versé au dossier des relations bilatérales avec si possible un bref aperçu adressé aux deux ambassadeurs pour une éventuelle mise en œuvre des décisions arrêtées, s’il y en a. Il fut un temps où les deux parties conviennent s’il y a lieu de publier un compte-rendu de presse et tombent d’accord sur le texte ou tout du moins ses grandes lignes.

Actuellement chaque partie est libre de publier ou non un communiqué de presse et elle est également libre d’y insérer ce qu’elle veut mettre en évidence, mais sans jamais s’écarter de ce qui a été évoqué entre les deux présidents. L’on a remarqué qu’un précédent entretien téléphonique au cours duquel, selon le communiqué de l’Elysée le président Macron a indiqué que son homologue tunisien s’est engagé à présenter une feuille de route pour l’après-décisions du 25 juillet n’a jamais été rendu public par la partie tunisienne.

La sélectivité

Certainement pour marquer sa désapprobation. La sélectivité : choix ciblés Il est évident que chaque partie veut donner de l’entretien les éléments qui lui paraissent aller dans le sens de ses intérêts. Ici interviennent deux éléments majeurs à savoir la sélectivité et l’omission. Par sélectivité, il faut entendre le choix des éléments de la discussion sur lesquelles chaque partie veut mettre l’accent. Ainsi pour le président tunisien, il s’agit de faire part de ses « regrets » suite à la décision prise par les autorités françaises de réduire le nombre de visas délivrés aux Tunisiens. Le président français a affirmé que cette mesure est susceptible d’être révisée, ajoute la présidence tunisienne pour montrer que la position tunisienne a été entendue. S’agissant de la question de la migration irrégulière, qui on le sait avait motivé la décision française, le président Saïed a indiqué que ce dossier « ne peut être traité que sur la base d’une nouvelle approche », assurant que Tunis se penchera dessus après la formation du nouveau gouvernement. Le communiqué de l’Elysée n’a quasiment pas évoqué cette question, se contentant de dire à la fin que « les deux chefs d’Etat ont abordé les questions migratoires. Ils sont convenus de renforcer la coopération bilatérale dans ce domaine ». Aucune trace ni des « regrets tunisiens » ni de l’éventualité de la révision de la mesure prise.

En revanche, le communiqué de la présidence française s’est beaucoup étendu sur la situation interne de la Tunisie. Ainsi il est dit que le chef de l’Etat français « a rappelé au Président de la République tunisienne « qu’il suivait avec la plus grande attention la situation politique, économique, sociale et sanitaire de la Tunisie ». L’Elysée ajoute que le Président Macron a évoqué « le calendrier institutionnel attendu par la population tunisienne et la communauté internationale (et) a exprimé son attachement à la mise en place d’un dialogue, associant les différentes composantes de la population tunisienne, sur les réformes institutionnelles envisagées ». Et de poursuivre : Le chef de l’Etat (français) a également rappelé son souhait que la Tunisie soit en mesure de répondre rapidement à l’ensemble des défis auxquels elle était confrontée. Il a répété que France se tenait aux côtés de la Tunisie et du peuple tunisien.

La France poursuivra son appui à la Tunisie pour faire face à la pandémie et l’accompagner dans ses réformes économiques. De graves omissions et un scoop ! Rien de tout cela dans le communiqué de la présidence tunisienne. Tout au plus, y lit-on que Le président Saïed s’est félicité de la nette amélioration de la situation sanitaire en Tunisie, une amélioration réalisée « grâce aux efforts entrepris au niveau national et à l’appui des pays frères et amis qui a permis d’endiguer la propagation de la pandémie de Covid-19 ».

L’omission tunisienne est évidemment due au fait qu’il s’agit de la situation interne à la Tunisie et qu’il serait malvenu qu’un pays étranger s’y ingère.

Communiqués différents mais complémentaires

Même s’il ne prend pas de gants pour rappeler qu’il suivait avec la plus grande attention la situation politique en Tunisie, le président français, Macron a pris soin de souligner qu’il a évoqué avec son interlocuteur « le calendrier institutionnel attendu par la population tunisienne et la communauté internationale ». « Il a exprimé son attachement à la mise en place d’un dialogue, associant les différentes composantes de la population tunisienne, sur les réformes institutionnelles envisagées », dit encore le communiqué dans ce qui ressemble fort à une immixtion dans les affaires tunisiennes.

Mais comme précédemment, il a annoncé que le président Saïed s’est engagé à présenter une feuille de route, le président français livre cette fois-ci un scoop, puisque selon le communiqué français, « M. Kaïs Saïed a indiqué que le gouvernement serait formé dans les prochains jours et qu’un dialogue national serait lancé dans la foulée. Il a rappelé son attachement à l’Etat de droit ». Si beaucoup de Tunisiens vont se féliciter de cette annonce, car ils y verraient la mise en place de cette démarche participative qu’ils appellent de leur vœu, d’autres seraient déçus qu’une partie étrangère soit la première à faire cette importante annonce. Autre omission, l’organisation du XVIIIème Sommet de la Francophonie prévu à Djerba en novembre prochain.

La présidence tunisienne en parle indiquant que cette question a été au centre de l’entretien, ajoutant que : des idées ont été soumises dans ce cadre et seront présentées à la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui effectuerait une visite en Tunisie. Pas un mot sur ce sommet dans le communiqué français, ce qui semble indiquer que la question n’a pas fait l’objet d’accord entre les deux parties. Cette omission est-elle le prélude à un report de ce sommet en attendant la normalisation de la situation politique en Tunisie. On peut le craindre. Dans tous les cas, même si les deux communiqués présentent des différences notables, ils sont complémentaires. Tout ce qui y écrit est vrai, cela est certain.

RBR