Par Soufiane Ben Farhat

Étrange tête-à-queue. Après avoir été pris au dépourvu suite aux manifestations de janvier dans diverses villes tunisiennes, exprimant le ras-le-bol des jeunes désœuvrés et déclassés, les partis politiques tunisiens semblent vouloir investir la rue dans leurs éternelles joutes stériles.

Sur fond de pommes de discorde

Les appels se succèdent depuis peu en vue de mobiliser le ban et l’arrière-ban dans la rue. Des députés du bloc parlementaire du parti gouvernemental Ennahdha s’y relaient à tue-tête. Ainsi en est-il de Jamila Ksiksi, Atig, Bechr Chebbi ou Mokhtar Lamouchi. Les députés de l’alliance dite al-Karama les ont relayés. A les en croire, leur parti s’est concerté avec divers « alliés partisans et politiques » pour organiser des manifestations de rues le 27 février en vue de « défendre la légitimité » du chef du gouvernement Hichem Mechichi dans le bras de fer qui l’oppose au président de la République, Kaies Saied, depuis près d’un mois. Leur différend a pris des tournures âpres et cruelles, voire même cyniques et arrogantes, sur la prestation de serment des onze nouveaux membres du gouvernement. Désignés par le chef du gouvernement le 16 janvier dernier, ils ont obtenu l’aval du Parlement dans la nuit du 26 au 27 janvier. Mais le chef de l’Etat refuse toujours de les recevoir pour la prestation du serment constitutionnel et leur nomination subséquente au Journal officiel. Motif, des poursuites judiciaires et des soupçons de conflits d’intérêts pèsent sur quatre d’entre eux. En l’absence de la Cour constitutionnelle, dont la mise en place prévue au plus tard en 2015 a été entravée par les manœuvres politiciennes des principaux partis de la place, le chef du gouvernement a saisi le Tribunal administratif, lequel s’est déclaré incompétent en la matière. En effet, en vertu des stipulations expresses de la Constitution tunisienne, seule la Cour constitutionnelle -inexistante- est habilitée à trancher en matière de conflit entre la présidence de la République et la présidence du gouvernement. En désespoir de cause, le chef du gouvernement a saisi l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi. Pourtant, son seul intitulé en dit long sur son incompétence en la matière.

De son côté, Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), a déclaré hier que sa formation compte organiser des manifestations de rue en vue de « défendre la vocation civile de l’Etat, le projet national, combattre la dictature des Frères musulmans, l’oppression et le despotisme ».

Les partisans du Président Kaies Saied ne sont guère en reste. Ils ont organisé il y a peu un attroupement en face de sa maison au quartier de Mnihla. Ils en appellent à réitérer pareille manifestation à large échelle pour exiger du Président la dissolution du Parlement et l’organisation d’un référendum. Autant dire deux procédures impossibles puisque inexistantes ou inopérantes constitutionnellement en l’état des choses.

On affûte les couteaux…

De part et d’autre, de tous bords, on affûte ses couteaux. Place aux mobilisations des troupes, séides et affidés dans les rues après les âpres échanges violents au Parlement, plus d’une année durant, qui ont fini par lasser et dégoûter une bonne partie de l’opinion. L’image de la classe politique dans son ensemble et de ses principaux représentants en particulier, s’en retrouve profondément écornée. Témoin, les différentes études sur l’état de l’opinion. Elles concordent pour faire valoir le pessimisme et l’angoisse du lendemain de près de 90% des Tunisiens ainsi que du large discrédit des principaux partis et de leurs leaders attitrés. Le meilleur d’entre eux, le Président Kaies Saied, n’est crédité que de 27% en guise de côte de confiance.

Les partis comptent-ils d’aventure améliorer leurs performances via la rue ? En d’autres termes, réussir une prouesse improbable et renverser la courbe de l’échec sur fond de sinistrose dont ils pâtissent ? Une chose est certaine : ils ne calculent guère les risques et périls que pareilles postures attirent comme le paratonnerre la foudre. Qui ne peut le plus ne peut le moins en quelque sorte. Et là où il s’imagine gagner des faveurs, il peut jouer avec le feu.

Aux yeux de certains protagonistes -pas tous il est vrai- les étranges incantations des rues partisanes sont destinées à faire rappliquer de vieux démons. L’atmosphère viciée des années 2012-2013 est en passe de réinvestir la place. Les milices d’extrême-droite y avaient fait le lit de l’escadron de la mort. A bon entendeur…

S.B.F