Par Brahim Oueslati
Dans son intervention devant le Conseil des ministres, tenu sous sa présidence mercredi 21 Octobre 2021, le président de la République Kais Saied a mis l’accent sur « l’importance de revaloriser le rôle social de l’État, d’ancrer la culture du travail, de favoriser l’austérité et de rationaliser les dépenses publiques et les importations ».
Cette déclaration tombe à pic, à l’heure où le nouveau gouvernement Bouden, à peine installé, fait face à des caisses pratiquement vides et cherche partout des économies pour boucler le budget de l’année 2021. Dans cette ambiance populiste qui plane, avec ce slogan pompeux, « le peuple veut », et cette atmosphère feutrée, on peut légitimement s’interroger sur les actions à mener pour réduire les dépenses publiques.
Le gouvernement doit serrer la vis tous azimuts
Le président n’est pas sans savoir que le train de vie de l’Etat a connu un grand bond au cours des dernières années et il est devenu trop visible voire ostentatoire, avec des gouvernements pléthoriques, une multitude de conseillers, de membres des différentes instances qui bénéficient des avantages de ministres et de secrétaires d’état. Et des sièges loués dans les quartiers chics du Lac et du Centre urbain nord, par des ministères et des instances en quête de faux « apparats ». Au total, on compte aujourd’hui neuf Instances dont cinq constitutionnelles, certaines d’entre elles ne sont pas encore constituées. Alors que d’autres sont en hibernation. Leurs présidents ont rang et avantages d’un ministre et leurs membres ceux d’un secrétaire d’état. Une voiture de fonction et 500 litres de carburants pour le président et une voiture de fonction et 360 litres de carburants pour chaque membre. Et il est vraiment inadmissible qu’un membre d’une Instance soit de loin mieux payé qu’un haut cadre de l’administration centrale, entendre secrétaire général de ministère ou directeur général, dans un pays qui a toujours compté sur plus de 150 hauts responsables ayant rang et avantages d’un ministre ou d’un secrétaire d’état. Pléthorique, injustifié et inacceptable. Et du jamais vu dans l’histoire de la république.
La facture est trop salée pour l’Etat, eu égard aux enveloppes destinées à l’achat de voitures de fonctions, du carburant, aux avantages pécuniaires et aux loyers.
Les caisses de l’Etat sont à sec et cela on le sait depuis des années. La solution de facilité pour tout gouvernement face la crise c’est d’augmenter les impôts et de réduire les salaires. Cela ne nécessite pas de gros efforts de réflexion. Il suffit de promulguer un texte de loi comme cela a été le cas pour la retenue d’une journée de travail au titre de l’année 2020 au profit du budget de l’Etat, pour lutter contre l’épidémie du Coronavirus, ou encore d’inclure un article dans la loi de finances comme celui relatif à la contribution sociale solidaire de 1% pour tout le monde, salariés et retraités. Une décision qui est partie pour durer.
Explorer de nouvelles pistes
Le gouvernement Bouden, avec 24 membres, est le gouvernement le plus réduit et le plus resserré de toutes ces dernières années. Son objectif premier est de juguler l’hémorragie. Pour ce faire, il devrait explorer toutes les pistes qui pourraient s’avérer juteuses et permettraient de renflouer les caisses de l’Etat. En voici quelques-unes :
- Réduire de manière drastique le train de vie de l’Etat. Cela doit commencer par la réduction du budget de fonctionnement des trois présidences, des ministères et des instances constitutionnelles et autres. Ces dernières coûtent énormément cher au contribuable avec des rémunérations exorbitantes. Souvent pour des résultats médiocres.
- Se passer de la deuxième voiture pour les membres du gouvernement qui, en plus, ont droit à deux chauffeurs. Sans compter le personnel domestique : deux pour chacun.
- Pour les voitures de fonction et en vue de réduire les abus, il serait judicieux de se limiter uniquement aux cadres supérieurs ayant rang de secrétaire général de ministère, de directeur de cabinet, de chef de cabinet ou de directeur général
d’administration centrale, comme le stipule l’article deux du décret n°88-189 du 11 février 1988, relatif à l’utilisation des voitures de l’Etat,
des collectivités locales et des étOablissements publics à caractère
administratif. Or, on a remarqué que même de simples agents pourraient bénéficier de voitures de services à usage personnel. Au bon vouloir du responsable ! - Mais il y aurait mieux. Les cadres supérieurs cités dans l’article deux du décret relatif à l’utilisation des voitures de fonction et mentionnés ci-dessus, pourraient disposer de leur propre voiture acquise par leur administration sous forme de location-vente avec des retenues mensuelles sans intérêts sur les salaires pendant une période allant de trois à cinq ans, selon les dispositions de chacun. Celui qui préfère utiliser sa voiture particulière percevrait une indemnité supplémentaire et ne l’utiliserait pas dans les longs déplacements.
- Remplacer les contingents mensuels de carburant pour tous, membres du gouvernement, membres des instances constitutionnelles, gouverneurs, Pdg des entreprises publiques, hauts cadres…par une indemnité fixe, selon la fonction. Cela réduirait beaucoup la consommation de carburant. Et les abus.
- Revoir ou encore suspendre provisoirement certains avantages en nature des agents des entreprises publiques, afin de juguler leur dette abyssale. Il est entendu que cela ne pourrait se faire qu’avec l’accord de leurs représentants syndicaux.
- Réduire au strict minimum le nombre des collaborateurs des ministres et de secrétaires d’état. Mais également celui des conseillers du président de la république du chef du gouvernement. Des chargés de mission ou des attachés de cabinet pourraient faire fonction de conseillers.
- Ceci pour le public. Mais pour le privé il y a beaucoup à faire pour les fonctions libérales. Les déclarations d’impôts de certains d’entre eux n’ont rien à voir avec la réalité : dérisoires et ridicules. Et c’est là où le gouvernement doit le plus agir pour stopper les fausses déclarations et récupérer l’argent de l’Etat.
- Toutefois, le plus grand chantier demeure celui de l’évasion fiscale qui prive le trésor public de plusieurs milliards de dinars. L’économie tunisienne a toujours été marquée par des activités parallèles, extralégales, anarchiques… Qualifiée d’économie informelle, elle désigne l’ensemble des activités de production qui ne sont pas soumises à des déclarations fiscales prévues par la loi. On parle d’un manque de recettes fiscales et cotisations sociales de près de 12 milliards de dinars. Cette somme, ou du moins une partie, une fois récupérée, pourrait éviter le recours aux prêts auprès des organismes financiers internationaux. Tous les gouvernements successifs depuis le 14 janvier 2011 ont annoncé qu’ils allaient s’attaquer à cette évasion, mais rien n’a été fait. Le phénomène de l’économie parallèle ou informelle est même allé augmentant pour dépasser les 50%.
Il faut être conséquent que ce ne sont pas les économies liées à la réduction du train de vie de l’Etat qui résoudraient la question de la dette ou qui enrichiraient les Tunisiens, mais il faut des symboles, des messages forts et des gestes solennels. « Tous les pays qui ont procédé à des réformes structurelles ont donné l’exemple en changeant ostensiblement le mode de vie des gouvernants et le train de vie de l’Etat ».
Brahim Oueslati