Par : Kamel Zaiem

Que se passe-t-il entre la présidence de la République, le Parlement et le ministère de la Justice ? Comment va-t-on résoudre l’équation des députés concernés par de récentes demandes de lever l’immunité parlementaire ?

Kaïs Saïed, le président de la République, n’y va pas de main morte, cette fois-ci. L’allocution donnée mercredi dernier, doublée de l’usage pour la première fois du dialecte tunisien courant pour se faire comprendre par tous, donnent l’impression que le patron du palais de Carthage a changé de discours et de tactique pour mieux surprendre ses détracteurs.

En recevant le chef du gouvernement Hichem Mechichi et le ministre de la Défense nationale, Brahim Barteji, Saïed a laissé transparaître une détermination inflexible pour imposer l’application de la loi. Certains y ont même vu les prémicesd’une toute autre nouvelle stratégie pour pouvoir aller jusqu’au bout de ses intentions.

Le chef de l’Etat a profité de cette entrevue à trois pour s’exprimer sur les rumeurs lancées ces derniers temps. Il a évoqué en particulier l’affaire des documents « fuités » accusant la présidence de planifier un « putsch constitutionnel ». Et tout montrant son attachement à l’unité de l’Etat, Saïed a appelé la justice, notamment celle militaire, à assurer pleinement son rôle pour mettre fin aux pratiques qui nuisent à l’Etat. Dans ce même contexte, le Président a estimé que la justice doit se saisir des affaires concernant certaines personnalités bénéficiant de l’immunité et a appelé l’ARP à coopérer et à assumer ses responsabilités. « Certains sont pris en flagrant délit et d’autres sont actuellement en fuite et ceci nuit à l’Etat tunisien. La justice militaire a les moyens d’agir en un temps record. Elle devrait le faire », a-t-il insisté en évoquant le député Rached Khiari sans le mentionner de façon nominative.  Et d’ajouter : « il y a plus de 25 affaires de corruption, de contrebande, de drogue et d’autres qui trainent à l’ARP ».

Offensive directe

« Les personnes impliquées ne sont pas inquiétées, car ils jouissent toujours de l’immunité ! Ces gens ne doivent pas être mieux lotis que le commun des citoyens. Le bureau de l’ARP doit examiner ces dossiers. D’après certains députés de l’opposition, 25 plaintes ont été transférées du ministère de la Justice au Parlement à ce sujet, mais elles n’ont pas été examinées ni présentées en séance plénière ». En le rappelant, le Chef de l’Etat. Il a laissé entendre dans ce sens que l’ARP défit la justice et fait exprès d’enterrer ces dossiers afin de détenir une monnaie d’échange dans des négociations politiques occultes avec les concernés qui n’auraient d’autre choix que de se soumettre aux « ordres » pour avoir la paix. Kaïs Saïed a également rappelé, comme il l’a souvent fait, qu’il n’y a « qu’un seul Etat et que chacun doit assurer ses prérogatives sans empiéter sur celle des autres, qu’il n’y a qu’une seule diplomatie tunisienne et que les affaires étrangères sont parmi les prérogatives du président de la République ».

Du côté de l’ARP, la réplique n’a pas tardé, mais à première vue, elle traduit de façon évidente un désarroi chez les islamistes et leurs alliés. Maher Medhioub, le député nahdhaoui chargé de la communication et de l’information au Parlement, s’est visiblement senti « contraint » de riposter en assurant que le Parlement n’a reçu aucune demande officielle de levée de l’immunité de députés. Une réponse qui ne semble convaincre personne du moment que son collègue opposant Nabil Hajji, est intervenu de son côté pour le démentir, révélant qu’après avoir soumis une demande d’accès à l’information, l’administration parlementaire l’avait informé que le Parlement avait reçu dix-sept demandes de levée d’immunité entre 2014 et 2019 et une seule demande du genre au cours de la période parlementaire actuelle.

Pas de répit

L’accélération des faits a donné l’impression à l’opinion publique que Saïed entame une toute nouvelle phase où il a réussi à contre-attaquer de manière élégante et « chirurgicale », réussissant à réexpédier la turbulence qu’on tente de semer à Carthage vers son expéditeur.

Le président de la République a réussi, là, à faire entendre à ses adversaires, sans crier ni s’énerver, sa détermination à leur prouver qu’il ne fléchira jamais quant à la lutte contre la corruption. Avec cette offensive directe, Saïed a rappelé, encore une fois, qu’il ne badine jamais avec les principes et c’est ce qui fait sa force et qui justifie l’estime qu’on lui doit. En insistant sur la primauté de la loi, Saïed a mis à nu les immondes magouilles. Il a détruit l’entente des affairistes avec les partis qui ne font que s’emparer des rouages du système.

Tout porte à croire qu’on entre dans une nouvelle phase encore plus explosive et plus féroce dans le bras de fer entre Ghannouchi et ses satellites d’un côté et le président de la République de l’autre. Grâce ç sa dernière attaque, Kaïs Saïed semble avoir gagné des points, mais il est encore tôt pour qu’il crie victoire car la route est encore longue pour « nettoyer » un paysage politique pourri et pour avoir raison de ces redoutables mafias qui rodent autour de leurs complices politiciens.

A présent, que le président de la République a vidé son sac dans cette affaire d’immunité parlementaire, verra-t-on ses adversaires donner l’impression de se comporter de manière plus propre pour limiter les dégâts et le contredire ? A priori, ils maîtrisent très mal l’art d’agir pour autrui, soucieux qu’ils sont de leurs propres intérêts avant ceux du pays.