Par Raouf Ben Rejeb
« Un gouvernement j’aurais pu le former le 26 juillet (au lendemain de la déclaration de l’état d’exception, ndlr), mais si je ne l’ai pas fait c’est qu’il faudrait au préalable concevoir un programme pour ce gouvernement ». C’est en ces termes que le président de la République a expliqué pourquoi il n’a pas encore formé ce gouvernement que tout le monde a appelé de ses vœux. Puis se tournant vers Amine Mahfoudh le professeur de droit présent à la rencontre qu’il a eu avec des éminents juristes, il a ajouté : « Je pourrais demander à Si Amine de former ce gouvernement ». Comme pour signifier que l’affaire pourrait être pliée en trois coups, deux mouvements.
Si c’était aussi facile pourquoi ne l’a-t-il pas fait, alors que tout le monde le suppliait de procéder à ce qui semble être pour lui une simple formalité.
S’il n’en était que cela, il ne se serait pas rétracté jusqu’ici. D’ailleurs, il ne semble vouloir mettre en place ce gouvernement. Ou du moins qu’il n’en ressent pas l’utilité, n’a-t-il pas dit que l’Etat est debout, le gouvernement n’est pas aussi indispensable ajoutant : « des directeurs généraux se sont sentis soulagés depuis qu’ils ont été allégés des ministres qui avaient autorité sur eux ».
Du reste, il n’a pas nommé de ministres aux postes dont il a estimé que leur présence était indispensable. A l’Intérieur, à la Santé et aux Finances, il s’est contenté de désigner des « chargés de la gestion » de ces départements, lesquels ont été nommés par décrets présidentiels et ont été appelés à prêter serment devant lui. Des ministres sans en avoir le titre, en somme.
Ce faisant, le président de la République en juriste chevronné sait que s’il nommait des ministres, les décisions que prendront ceux-ci pourraient être contestées devant le tribunal administratif car seul le chef du gouvernement dispose de cette autorité selon la constitution tunisienne dont Saïed veut garder l’apparence de son respect.
Quel sort sera-t-il réservé à la Constitution de 2014
Tant qu’il n’a pas réglé cette question qui reste pour lui lancinante : quel sort sera-t-il réservé à la Constitution de 2014? Le texte approuvé le 27 janvier 2014 au petit matin est accusé de tous les maux, pourtant il est celui sous l’empire duquel il a été élu et au respect duquel il a prêté serment. Faire autrement c’est un parjure littéralement la violation du serment. Ce qui est gravissime et Kaïs Saïed le sait fort bien.
Surseoir à la formation du gouvernement en attendant de trouver l’issue de sortie de l’impasse constitutionnelle ou mieux de l’imbroglio juridico-constitutionnel est la seule explication plausible aux atermoiements du président de la République à la formation de la nouvelle équipe gouvernementale. Tout au plus verrons-nous la désignation des « chargés » des différents départements ministériels comme c’était le cas pour l’Intérieur, la Santé, les fiances et les technologies de communication. Il est difficile de voir Kaïs Saïed nommer un « chef de gouvernement ». A sa place il ne nommerait qu’un « chargé de la coordination gouvernementale ». Le président Habib Bourguiba dont l’actuel chef de l’Etat veut s’inspirer avait jusqu’en en 1970 « un secrétaire d’Etat à la présidence » poste confié à Bahi Ladgham qui le secondait à la tête du conseil des secrétaires d’Etat. Suite à la maladie du Premier ministre Hédi Nouira en février 1980, le même Bourguiba chargea Mohamed Mzali de la coordination des affaires du gouvernement avant de le confirmer au poste de Premier ministre en avril de la même année.
« Chat échaudé craint l’eau froide »
Néanmoins, ce n’est pas la seule raison à l’hésitation de Kaïs Saïed à nommer un nouveau gouvernement. Les nominations précédentes lorsque lui avait échu le droit de choisir « la personnalité la plus à même de former un gouvernement » ne lui avaient pas réussi. Le premier, Elyès Fakhfakh a été contraint à la démission pour des soupçons de conflit d’intérêts alors que le second, Hichem Mechichi s’est retourné contre lui et a rejoint « le coussin politique » constitué des partis et blocs parlementaires qui l’ont aspiré vers leur attirail. Le président de la République n’a pas eu, de son point de vue du moins ou de celui de ses collaborateurs les plus proches, la main heureuse non plus dans le choix des ministres qui sont sous autorités. Pour preuve, il a déjà « consommé » deux ministres des Affaires étrangères et autant de ministres de la Défense nationale. Ce dernier département est actuellement sans titulaire alors que l’on n’exclut pas un changement éventuel à la tête de la diplomatie tunisienne. Ne dit-on pas que « chat échaudé craint l’eau froide ». En bon tunisien on dit : lorsqu’on a été brûlé par la soupe, on souffle sur la salade ?
Kaïs Saïed a rendu sa tâche encore plus difficile et quasiment impossible lorsqu’il a déclaré qu’il est à la recherche d’hommes ou de femmes « au-dessus de tout soupçon » et qui ne « trainent aucune casserole ». Un casting rendu encore malaisé.
Un gouvernement dans les prochains jours, un rêve qui ne risque pas de se réaliser de sitôt.
RBR