Par : Kamel Zaiem

Depuis le 25 juillet 2021, la Tunisie vit un tournant très particulier. Le Parlement est gelé, le chef du gouvernement démis et un gouvernement qui continue à gérer sans trop de conviction, dans l’attente de l’annonce de l’identité du futur patron à La Kasbah et de ses lieutenants, surtout dans les secteurs essentiels (économie, santé, finances, commerce, sécurité…).

Plus de place à l’euphorie

Il est vrai que les Tunisiens ont accueilli tambour battant l’initiative de Kaïs Saïed qui a « osé », enfin, neutraliser ceux qui étaient au pouvoir et qui ont tout fait pour mettre le pays à genoux et le piller totalement.

L’heure de l’euphorie est passée et ça fait déjà plus de trois semaines que les citoyens attendent des signes annonciateurs de renouveau et d’audace pour redresser la situation et sauver totalement le pays.

Et si, côté santé, la Tunisie est sur une courbe positive avec des chiffres et des taux de plus en plus rassurants et un taux respectable de vaccination, c’est le domaine économique qui exige de l’action sans hésitation ou attente inutile. C’est que les maux sont connus et nos experts en la matière ont, à maintes reprises, dressé le tableau avec ses défaillances, ses points rouges, ses maux et ses dangereuses répercussions, ainsi que les actions et décisions urgentes qui doivent être prises dans l’urgence.

Eviter l’impasse

Parmi ces experts, l’économiste Ezzedine Saidane a révélé, depuis le mois de juin 2021, que la Tunisie a besoin de 12 milliards de dinars pour couvrir ses besoins financiers, au cours des trois prochains mois (de juin à août), afin d’éviter le risque d’un scénario d’incapacité de rembourser une partie de ses dettes, pour la première fois de son histoire. Il a également précisé que ces fonds sont répartis entre l’allocation de 4,5 milliards de dinars pour rembourser les prêts et la réservation d’une enveloppe de 5 milliards de dinars pour le paiement des salaires de la fonction publique, ainsi qu’un montant de 3 milliards de dinars pour financer des dépenses généraux et le fonds de compensation. L’expert a averti que le pays fait face à des difficultés financières sérieuses, au vu du grand déséquilibre entre les ressources et les dépenses, alors qu’il n’existe au compte du trésor de l’Etat à la Banque centrale que 1600 millions de dinars à cette date. Il a, par ailleurs, estimé que les négociations initiées par le gouvernement avec le Fonds Monétaire International (FMI) ne pourront pas aboutir à un accord, avant trois mois. D’où l’impératif de trouver les moyens de mobiliser cette enveloppe de 12 milliards de dinars, en attendant le décaissement de la première tranche du prêt qui sera octroyé par le FMI, sinon la Tunisie se trouvera dans l’obligation de rééchelonner ses dettes, et d’accepter des conditions affectant sa souveraineté.

Pour sa part, l’expert économique Moez Joudi partage également la même vision. Il tient à rappeler que La Kasbah, siège du gouvernement, est le centre d’où émanent les décisions administratives en mesure de simplifier la vie aux entrepreneurs, d’où l’urgence de nommer un gouvernement. «Même lorsque l’administration fonctionne, elle est souvent en deçà des attentes des investisseurs, note l’économiste. Figurez-vous qu’en moyenne, il faut 3 mois pour créer une simple société à responsabilité limitée (Sarl). C’est énorme ! »

Place aux réformes

Aujourd’hui, alors que les Tunisiens sont encore enivrés par les promesses de Saïed, le plus dur est encore à venir, comme l’estime Hichem Elloumi, le vice-président de l’Utica, qui est plutôt dans l’expectative et ne souhaite nullement céder facilement à un optimisme candide. Elloumi reconnaît volontiers que le patronat a « positivement» accueilli les décisions du Chef de l’Etat du 25 juillet 2021, mais en bon homme d’affaires, il reste tout de même prudent : «Nous attendons la nomination d’un Chef de gouvernement, d’une équipe gouvernementale et l’annonce d’une feuille de route. Nous nous attendons à la publication d’une feuille de route qui sera, certes, principalement politique, mais il y sera très certainement question d’économie», précise-t-il, indiquant que.
le retour de l’investissement dépendra particulièrement du degré de visibilité et de stabilité politique. «L’urgence est de rétablir la confiance et d’entamer la mise en œuvre des grandes réformes que le monde économique réclame depuis plusieurs années».

Tous ces témoignages et ces avis émanent d’experts reconnus et nous ignorons les raisons qui empêchent le président de la République et les membres de son cabinet de réunir ces éminences en la matière et de discuter et consulter pour accélérer l’élaboration de cette fameuse feuille de route que tout le monde attend.

D’autres défis à relever

Saluées par une majorité de Tunisiens et par un certain establishment économique et syndical, les décisions du 25 juillet devront être suivies de véritables actions capables de desserrer l’étau sur l’investissement. Problème, si le Président de la République s’est avéré être un fin politique, il n’est pas tout à fait à l’aise sur les thématiques économiques. Nommer au plus vite un gouvernement avec à sa tête une compétence économique serait le meilleur moyen pour combler ses lacunes.

En politique, il ne faut jamais dormir sur ses lauriers et trop savourer les victoires car il y a toujours à faire et il y aura toujours d’autres défis, aussi importants, à relever.

K.Z.