Par: Kamel Zaiem

Qu’il fait beau, qu’il pleut, que leur quotidien soit morose ou coloré, qu’ils vivent sous le pouvoir d’un dictateur ou qu’ils soient débordés par le parfum de la liberté et de la démocratie, que les caisses de l’Etat virent du vert au rouge ou que les prêts et les dons débordent de toute part, nos concitoyens ne changent presque jamais et ces bipèdes de Tunisie demeurent paradoxalement mystérieux.

Et ceux qui ont espéré voir les choses changer un certain 14 janvier 2011 ont vite fait de déchanter. Pis encore, ils n’ont presque rien fait pour protéger leur « révolution », laissant les rênes du pouvoir à une secte, issue d’un mystérieux printemps arabe, qui n’avait rien à voir avec les vrais initiateurs du soulèvement populaire contre Ben Ali.

La formule magique

Et lorsqu’une brise de changement de décor a effleuré les esprits à l’issue des élections législatives et présidentielle de 2014, avec l’émergence d’un nouveau parti politique qui a eu en main les trois pôles du pouvoir, on a vite fait de dilapider cette précieuse occasion pour revenir progressivement et glisser dangereusement vers l’avant 2014.

Grâce à la formule magique du consensus politique chèrement défendue par les deux hommes à tout faire de l’époque, feu Béji Caïed Essebsi et le cheikh Rached Ghannouchi, on a imposé à un peuple candide, déchiré, épuisé, appauvri, inondé par le mensonge politique et de plus en plus marginalisé, un système politique où le pouvoir est tellement déchiqueté et dispersé qu’on a l’impression qu’aucune force politique ne tient en main les ficelles, laissant le flou, artistique et réel, prévaloir à tous les niveaux sans pouvoir trouver de vis-à-vis ni de responsables pour rendre des comptes en cas d’échec.

L’initiative de Kaïs Saïed, le président de la République le soir du 25 juillet 2021 est venue tout remettre en question et surtout mettre fin à un régime politique favorable aux opportunistes et à ceux qui avaient l’habitude de mélanger pouvoir, affaires et corruption dans une totale impunité.

Des craintes, oui, mais…

C’est ce qui explique l’agitation de plus en plus grandissante de ces anciens détenteurs du pouvoir qui ne digèrent pas encore la « déconvenue » de ce 25 juillet qui les a mis out de manière plus que spectaculaire.

A présent, il est vrai que nous en sommes à un stade qui suscite des craintes puisque Kaïs Saïed dispose de quasiment toutes les clés du pouvoir en cette période exceptionnelle dont on ne peut fixer exactement la durée.

Il est également vrai que les citoyens, heureux d’avoir rompu avec un système corrompu jusqu’aux os, s’inquiètent pour l’avenir du pays et souhaitent plus de visibilité dans les actions du président de la République et ses réelles intentions.

De même, certaines mesures d’urgence concernant les secteurs économiques et financiers sont capitales pour redresser une situation plus qu’inquiétante et c’est la raison pour laquelle la nomination d’un chef de gouvernement, de préférence un connaisseur et un expert en matière de finances, est souhaitable pour gagner du temps et se consacrer à relever les différents défis qui se profilent à l’horizon.

D’ailleurs, l’UGTT, la plus imposante des organisations nationales de la principale composante de la société civile, n’a pas cessé de rappeler toutes ces urgences, mais en se montrant responsable et solidaire avec un Président prêt à tout pour déraciner les mafiosis et les barons de la corruption.

Ils ne savent plus sur quel pied danser

A l’opposé, certains partis politiques tiennent à profiter de la situation pour avoir le beurre et l’argent du beurre, à l’image du parti des travailleurs, quasiment absent sur la scène politique qui se montre de plus en plus hostile à Saïed, ou Attayar qui, à priori, ne sait plus sur quel pied danser après avoir tenté vainement de se hisser aux hauteurs du pouvoir. Ces deux partis n’arrivent pas à comprendre, ou feignent de ne pas le faire, que la priorité absolue consiste à mettre Ennahdha et ses satellites hors d’état de nuire pour sauver les meubles et passer aux réformes nécessaires dans la phase qui suit. On a même l’impression qu’ils tiennent au retour d’activité du Parlement, dans sa formule actuelle comme si de rien n’était, épousant curieusement la vision des islamistes.

Sans rappeler à Hamma Hammami qu’il est à l’origine de tous les maux du pays lorsqu’il a contribué volontairement au rapprochement entre Nida Tounès et Ennahdha, et sans évoquer les « services rendus » de Ghazi Chaouachi au parti islamiste, il y a lieu de les appeler à se montrer moins égoïstes et plus solidaires avec un peuple qui a tenu à se révolter et qui a massivement élu un président de la République capable de faire changer le cours des événements.

Certes, Kaïs Saïed ne doit nullement disposer d’une carte blanche, mais dans le contexte actuel, il a besoin du soutien de tout un peuple, à moins que ces pseudo-opposants à Ennahdha ne se sentent guère concernés par ce qui se passe.

K.Z.