La scène politique et juridique tunisienne est secouée par une escalade de la crise entourant les opposants politiques détenus. L’affaire de Jawhar Ben M’barek, expert en droit constitutionnel et figure de l’opposition, a atteint un nouveau palier avec des accusations selon lesquelles il aurait été sauvagement agressé par des gardiens et d’autres détenus à l’intérieur de la prison civile de « Belli ».
Résumé : Cet incident survient alors qu’il mène une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention. Ces développements interviennent dans un contexte de multiplication des grèves de la faim parmi les leaders de l’opposition et de pressions internationales croissantes, notamment d’Amnesty International, exigeant une enquête urgente et impartiale.
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Le récit de l’agression présumée
Selon la version rapportée par la famille de Ben M’barek et son équipe de défense, les faits se seraient produits mardi 11 novembre 2025. Les détails, révélés publiquement lors d’une conférence de presse urgente mercredi 12 novembre, décrivent une scène violente. L’agression aurait été d’une extrême brutalité, laissant Ben M’barek avec une côte fracturée, ainsi que des ecchymoses et des contusions visibles sur le torse et le corps, selon l’avocate Hanan El Khemiri qui lui a rendu visite en prison. Sa sœur, Dalila Ben M’barek Mezdaq, a déclaré dans une vidéo émouvante que les coups portés auraient été si violents qu’ils auraient provoqué une perte de connaissance, et que l’agression aurait repris après qu’il eut repris ses esprits.
Cinq gardiens et six autres détenus seraient impliqués. L’incident est décrit comme étant prémédité et planifié. Ben M’barek aurait été conduit délibérément dans un endroit isolé de la prison, dépourvu de caméras de surveillance, sur ordre des gardiens. Le père du détenu, Azzedine El Hezqi, a pour sa part indiqué que le directeur de la prison n’aurait pas nié les faits, mais aurait minimisé la gravité des blessures, qualifiant le récit de l’avocate d’«exagéré».
Les réactions internationales et des droits de l’homme
La nouvelle de cette agression a provoqué une vague d’indignation et d’inquiétude au niveau national et international.
Amnesty International : L’organisation de défense des droits de l’homme a exprimé, dans un communiqué publié mercredi soir, sa profonde inquiétude face aux informations faisant état de tortures infligées à Ben M’barek. Elle a exigé que les autorités tunisiennes ouvrent une enquête urgente, indépendante et impartiale sur les faits, et que tous les responsables de ces violations soient tenus pour responsables. L’organisation a également appelé à garantir son accès immédiat aux soins médicaux nécessaires et à libérer lui ainsi que les autres détenus de l’affaire dite du « complot », les considérant comme détenus pour avoir exercé pacifiquement leurs droits.
Réactions locales : Le Parti républicain, auquel appartient Ben M’barek, a vivement réagi, qualifiant l’acte d’ « agression systématique visant à briser sa volonté et à le dissuader de poursuivre sa grève de la faim ». Le secrétaire général du parti, Issam Chebbi (lui-même incarcéré), a annoncé qu’il boycotterait le suivi médical lié à sa propre grève de la faim pour protester contre ce qu’il a appelé la « tromperie de l’opinion publique » par l’administration pénitentiaire.
Contexte et parcours de l’affaire
Pour comprendre la portée de ces événements, il est essentiel de les replacer dans leur contexte plus large.
Cadre légal : Jawhar Ben M’barek, professeur de droit constitutionnel et l’un des fondateurs du « Front du Salut National », est détenu depuis février 2023 dans le cadre de ce qui est médiatiquement appelé l’affaire du « complot contre la sécurité de l’État » . Un tribunal l’a condamné à une peine de 18 années d’emprisonnement en avril dernier. L’opposition et les organisations de défense des droits de l’homme qualifient ces accusations de « fabriquées » et estiment que son procès ne respecte pas les standards d’un procès équitable.
Grève de la faim : Ben M’barek a entamé une grève de la faim illimitée, sans eau ni médicaments, depuis le 29 octobre 2025 , pour protester contre ce qu’il considère comme une « détention arbitraire et un procès inique ». Il a été rejoint dans cette action par d’autres figures de l’opposition incarcérées, comme Rached Ghannouchi, Issam Chebbi, Abdelhamid Jelassi et Rada Belhaj , formant ainsi un mouvement de protestation coordonné.
La version officielle des autorités
En revanche, les autorités tunisiennes, représentées par l’Administration Générale des Prisons et de la Rééducation, présentent une version radicalement différente des faits. L’administration nie catégoriquement les allégations concernant la détérioration de l’état de santé des détenus en grève de la faim, affirmant que leur état fait l’objet d’un « suivi médical constant ». Elle soutient que les affirmations concernant les grèves de la faim sont « sans fondement », des examens médicaux ayant prouvé, selon elle, « la fausseté de leurs allégations ». Parallèlement, l’administration a déposé des plaintes contre plusieurs avocats, les accusant de propager des « rumeurs et fausses informations » sur les grèves et les conditions de détention.
Analyse et implications
L’affaire Jawhar Ben M’barek et la controverse entourant l’agression présumée, ainsi que les réactions internationales, mettent en lumière plusieurs tendances alarmantes.
- Un fossé narratif : Un écart considérable persiste entre le récit de la famille, de la défense et des observateurs internationaux d’une part, et la version des autorités officielles d’autre part. Ce contraste rend l’accès à la vérité difficile et érode la confiance dans les institutions.
- Judiciarisation de la politique : Les accusations se multiplient contre le pouvoir en place en Tunisie, l’accusant d’instrumentaliser le système judiciaire comme un outil pour réduire au silence les opposants et réprimer les voix dissidentes – ce que le gouvernement tunisien dément continuellement.
- Détérioration des libertés : Ces développements confirment les avertissements des organisations de défense des droits de l’homme concernant un recul marqué des libertés civiles en Tunisie, particulièrement depuis que le président Kaïs Saïed a assumé des pouvoirs exceptionnels en juillet 2021.
L’affaire du opposant tunisien Jawhar Ben M’barak continue d’évoluer, et les échos de l’agression présumée dont il a été victime ainsi que les prises de position d’organisations internationales comme Amnesty International résonnent fortement dans les milieux politiques et des droits humains. Dans un climat de récits profondément divisés et en l’absence d’une enquête transparente et impartiale jusqu’à présent, l’affaire d’un seul homme devient un test crucial pour le respect des droits humains et l’indépendance de la justice en Tunisie. Le monde observe, et le peuple tunisien s’interroge : jusqu’où peut-on aller pour sacrifier une opinion et une position politique différentes ?







