Nul ne peut occulter la situation économique, critique et fragile, qui prévaut en Tunisie, aggravée, depuis début 2020, par la pandémie de la Covid-19. Les raisons à l’origine de la crise ne sont pas qu’économiques, le climat et les tensions entre les différents protagonistes politiques y sont pour quelque chose ou du moins, n’aident en rien à l’apaisement ou à la recherche d’éventuelles solutions.

Les derniers jours ont vu l’adoption d’une loi de finances complémentaire, pour l’exercice 2020, suivie de l’adoption de la loi de finances 2021.

Considéré comme le document le plus important, puisque reflétant les orientations et les mesures importantes que compte prendre le gouvernement, le projet de loi de finance 2021 a été élaboré sur la base d’un certain nombre d’hypothèses dont un taux de croissance économique de 4%. Est-ce faisable ?

Le pays vit-il au-dessus de ses moyens… ?

Les experts sont sceptiques et pour cause : les dégâts sont là pour le prouver : les finances publiques saignent abondamment, le dinar est en dépréciation continue par rapport à l’euro, la hausse de l’endettement public, outre une croissance de l’inflation et le creusement du taux du chômage.

Nous sommes en présence d’un double déficit, d’une dette élevée et de stocks régulateurs limités.

Il ne faut guère oublier les partenaires économiques, commerciaux et financiers de la Tunisie, qui ont tout intérêt à contribuer à la relance de l’économie tunisienne afin d’assurer le recouvrement de leur argent.  

Voilà un tableau généraliste qui s’assombrit quand on pénètre le domaine des chiffres. Récemment, le ministre de l’Economie, des finances et de l’appui au développement, Ali Koôli a affirmé que le déficit budgétaire indiqué dans le projet de Loi de Finances 2021 est de l’ordre de 7,5%, soit 16 milliards de dinars. Il s’agit d’un montant record que la Tunisie enregistrera l’année prochaine en matière de remboursement des dettes.

Finances publiques…Une situation catastrophique

En plus clair, en 2020, la Tunisie aura besoin de pas moins de 20 milliards de dinars d’endettement dont 16 milliards de dinars d’endettement externe face à une masse salariale de plus que 20 milliards de dinars. 

Et l’économiste Ezzeddine Saidane de renchérir : ‘’Il faut rappeler tout d’abord que la croissance économique se mesure en pourcentage par rapport à la période précédente. Donc le taux de croissance du PIB de 2021 se mesure en pourcentage d’augmentation du PIB de 2021 par rapport au PIB de 2020. Il faut rappeler aussi que l’on s’attend pour 2020 à un taux de croissance largement négatif, qui pourrait atteindre ou avoisiner -10%. Donc même si on prévoit un taux de croissance économique de +10% pour 2021, ce ne serait pas du tout ambitieux. On ne ferait que compenser la baisse observée en 2020 et revenir à fin 2021 au niveau du PIB de 2019 (oui 2019).

Acculé, le gouvernement vient de présenter à l’Assemblée des représentants du peuple, ARP, une loi de finances complémentaire nécessitant des ressources supplémentaires d’un montant important et la Banque Centrale de Tunisie (BCT) a refusé le financement par injection de liquidités centrales.

La situation catastrophique des finances publiques, précise l’expert Ezzeddine Saïdane, n’est pas née d’aujourd’hui. Elle est le résultat d’une accumulation des résultats de mauvaises politiques, d’une  mauvaise gestion des affaires publiques, et parfois même de choix délibérés visant la satisfaction d’intérêts politiques personnels ou partisans.

Depuis 2011, les dépenses publiques ont augmenté à un rythme élevé, et sans rapport avec la croissance de l’économie, et donc des moyens de la Tunisie. Les dépenses publiques ont augmenté à un rythme moyen de 10% par an, avec des pointes à + 17,2% (2017) et + 20% (2020) alors que le taux de croissance moyen de l’économie n’a pas dépassé 1% en moyenne, sans compter 2020 (taux de croissance attendu: -10%).

La conséquence directe de cette augmentation démesurée des dépenses publiques a été l’augmentation à un rythme intenable de la dette publique. La dette publique avait doublé en trois ans entre 2017 et 2019. Aujourd’hui la Tunisie est dans une situation d’endettement excessif. La dette publique s’approche du niveau de 100% du PIB. Si l’on comptait les garanties accordées par l’État aux entreprises publiques le niveau de la dette publique dépasserait 110% du PIB.

Et Saïdane d’ajouter que l’Etat tunisien ne s’est pas contenté d’emprunter, auprès des banques tunisiennes, en Dinars. Il s’est mis depuis plus de trois ans à emprunter des Dollars et des Euros (sur des dépôts à vue de clients non résidents) jusqu’à atteindre l’équivalent de plus de 6 milliards de Dinars. ‘’En plus de créer l’effet d’éviction (des entreprises) en Dinars l’État avait ajouté un effet d’éviction en devises’’.

Manque de ressources ou mauvaise gestion de crise

L’hémorragie s’aggrave…Y-a-t-il moyen de la contenir ? Tous les experts sont unanimes et affirment que la situation nécessite des réformes structurelles qui s’attacheront à aller au plus profond du problème. Aucun rafistolage ni maquillage ne seront permis, au risque de voir le pays s’enliser dans une crise sans fin.

‘’Nous avons clairement mal géré la crise des points de vue économique, financier et social. Nous avons donné la priorité à la maîtrise de l’inflation. La conséquence est que nous avons perdu des milliers d’entreprises étouffées par l’absence de liquidités. Nous avons perdu des centaines de milliers d’emplois. Et nous avons étouffé notre économie. Tout cela pour maintenir ou faire baisser légèrement le taux d’inflation. Depuis le mois d’avril nous avions proposé de gérer la crise autrement’’, analyse l’expert Saïdane.

Pour lui, la solution réside en premier à baisser le taux directeur de la BCT et à injecter entre 15 et 20 milliards de Dinars de liquidités supplémentaires dans l’économie en rassurant les autorités monétaires que cette injection ne se traduirait pas par une hausse du taux d’inflation. ‘’Les analyses le montrent bien. Une telle injection aurait permis de mettre à la disposition du système bancaire et financier des liquidités nouvelles de l’ordre de 7 à 8 milliards de Dinars qui seraient utilisées pour financer les entreprises, au lieu de financer le déficit du budget de l’État. Cette injection de liquidités proviendrait du rachat par la BCT de l’ensemble des bons de trésor détenus par les banques (entre 15 et 20 milliards de Dinars). Cette dette de l’État serait transformée en dette à très long terme (30 à 40 ans) avec un délai de grâce de 10 ans par exemple. Une telle injection serait accompagnée de deux mesures essentielles: la rationalisation des dépenses de l’État, et la rationalisation des importations. Un tel programme serait de nature à relancer la machine de l’économie tunisienne totalement étouffée et grippée aujourd’hui’’, assure-t-il.