Des dizaines d’enseignants et chercheurs des facultés de droit et des instituts supérieurs des sciences juridiques, politiques et économiques en Tunisie ont publié une pétition protestataire condamnant les verdicts rendus le samedi 19 avril 2025 dans l’affaire qualifiée de « complot contre la sûreté de l’État ». Ils les ont décrits comme « inéquitables » et « dépourvus des fondements d’un procès équitable ».
Signée par plus de quarante universitaires, parmi les plus éminents experts juridiques tunisiens – dont d’anciens doyens et des académiques renommés comme Iyad Ben Achour, Naïla Chaabane, Naji Baccouche, Ouaïd Ferchichi, Hamadi Redissi et Salim Laghmani –, la pétition affirme que les jugements prononcés par la cinquième chambre pénale du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme le 19 avril 2025 « ont atteint un niveau de sévérité sans précédent », avec des peines allant jusqu’à 66 ans de prison.
Une procédure judiciaire entachée de « dépassements »
Les signataires ont dénoncé ce qu’ils qualifient de « parcours judiciaire vicié », pointant une série de violations ayant marqué l’affaire depuis son début. Parmi celles-ci figurent la désignation d’un juge « contraire à la loi », le rejet des demandes de récusation, des « détentions provisoires prolongées » et des « enquêtes factices ignorant les droits de la défense ». Ils ont également souligné l’absence de confrontations et de procédures essentielles pendant deux ans de détention, ce qui contredit, selon la pétition, les normes les plus élémentaires de la justice.
Un procès à distance violant le principe de publicité
Les professeurs ont affirmé que les audiences tenues à distance, en l’absence des accusés et de leurs avocats, constituent une violation flagrante du principe de publicité des débats, pourtant garanti par les législations nationales et les conventions internationales. Ils ont aussi exprimé leur inquiétude quant à l’utilisation de lois d’exception « considérées comme inconstitutionnelles », ouvrant la voie, selon eux, à une « politisation de la justice ».
Accusations de « musellement de l’opposition »
La pétition ne s’est pas contentée de critiquer les procédures judiciaires, mais les a reliées au contexte politique actuel, estimant que ce procès « s’inscrit dans une démarche plus large visant à réduire l’opposition au silence et à transformer la justice en outil répressif ». Les signataires ont rejeté ce qu’ils appellent le « règne de l’individu » post-25 juillet 2021, appelant à « stopper la dérive dangereuse qui fait de la justice un paravent de la répression ».
Appel au rétablissement de l’indépendance de la justice
Les universitaires ont conclu leur pétition en insistant sur la nécessité de « rétablir l’indépendance de la justice » et de « respecter la présomption d’innocence », exprimant leur espoir que « la vérité éclate pleinement en appel ». Ils ont également réaffirmé leur solidarité avec les détenus et leurs familles, soulignant que « la véritable justice ne peut se construire sur les ruines des droits fondamentaux ».
Cette pétition intervient dans un contexte de critiques croissantes, tant locales qu’internationales, envers les récentes procédures judiciaires en Tunisie, qualifiées par des militants et des ONG de droits de l’homme comme « motivées politiquement ».
Texte intégral de la pétition :
Nous, enseignantes et enseignants des facultés de droit et des instituts supérieurs des sciences juridiques, politiques et de gestion, signataires de cette pétition,
après avoir suivi avec une vive inquiétude et préoccupation ce qu’on appelle l’« affaire du complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État », et suite aux verdicts prononcés à l’aube du 19 avril 2025 par la cinquième chambre pénale du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent à l’encontre des quarante accusé(e)s dans une affaire médiatisée depuis plus de deux ans – des peines quasi perpétuelles atteignant dans certains cas 66 ans de prison –,
exprimons notre soutien et notre solidarité avec tou(te)s les accusé(e)s ainsi qu’avec leurs familles et proches. Ces verdicts, rendus sans respect des principes du droit pénal, des garanties procédurales et des conditions d’un procès équitable, ressemblent davantage à une justice d’instruction qu’à un jugement impartial.
Nous dénonçons le déroulement de cette affaire, que nous considérons comme une violation flagrante des principes d’un procès équitable :
Un juge, président de la chambre pénale concernée, nommé en violation des dispositions légales attribuant cette compétence au Conseil supérieur de la magistrature ;
Un juge partial, dont la récusation a été ignorée malgré les demandes légitimes ;
Une enquête bâclée, se contentant de condamnations sans recherche de preuves ;
Une détention préventive prolongée au-delà des délais légaux, devenant une détention de fait ;
Une violation du droit des accusés à participer à la preuve de leur innocence ;
Une seule audition des accusés lors de l’ouverture de l’enquête ;
Aucune confrontation ni procédure contradictoire pendant deux ans de détention ;
Un traitement cruel et inhumain des détenus, contraire aux règles minimales des droits des prisonniers politiques reconnues sous les principes Nelson Mandela ;
Un acte d’accusation dont les faits restent inconnus même des accusé(e)s ;
Une condamnation infondée, dépourvue de tout élément constitutif du crime ;
Des audiences à distance en l’absence des accusés, transformées en procès quasi secrets, violant clairement la publicité des débats ;
Une négation des droits de la défense, avec un passage immédiat aux plaidoiries et au verdict, sans permettre aux avocats de discuter du fond de l’affaire ;
Des peines draconiennes fondées sur des lois d’exception dont l’inconstitutionnalité a été soulevée.
Nous rejetons également la situation de « fait accompli » qui prévaut depuis le 25 juillet 2021, sous de faux prétextes populistes sapant les principes de légalité, des libertés fondamentales, des droits humains et de l’État de droit, et légitimant un pouvoir personnel.
Nous condamnons fermement l’instrumentalisation de la justice au service du pouvoir en place, criminalisant l’opposition politique et muselant la liberté d’expression.
Nous appelons à restaurer la démocratie et l’indépendance de la justice pour garantir des procès équitables, et à mettre fin à l’érosion de la légitimité légale.
Nous espérons que la vérité sera pleinement révélée en appel, et que la présomption d’innocence retrouvera sa place.
Liste des premiers signataires :
(Noms, titres et institutions universitaires)
* Aida Ketata :Chargée de cours, Faculté de droit, Sfax
* Jalila Bouzouita : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit, Tunis
* Amine Jelassi : Professeur assistant, Institut supérieur d’études juridiques et politiques, Kairouan
* Asmaa Nouira : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis
* Fadwa Masmoudi :Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit et de sciences politiques, Sousse
* Hammadi Redissi, Professeur, Faculté de droit, Tunis
* Hatem Alatrash : Assistant d’enseignement supérieur, Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales, Tunis
* Iqbal Ben Moussa :Professeur assistant, Faculté de droit et des sciences politiques, Tunis
* Jalila Bouzouita :Jalila Bouzouita : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit et de sciences politiques, Sousse
* Karim Chiatte : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit et des sciences politiques, Sousse
* Mounia Benkall : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis
* Raya Choubani : Chargée de cours, Faculté des sciences juridiques
* Sahbi Khalfaoui :Assistant de l’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, économiques et comportementales, Jendouba
* Sahima ben Achour :Sahima Aben Achour : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit, Tunis
* Sami Jerbi :Sami Jarbi : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit, Sfax
* Shahrzed Chelli :Assistante de l’enseignement supérieur, Institut supérieur de gestion, Tunis
* Siham Dali :Assistante d’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis
*Abdelkader Fathallah : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit et des sciences politiques, Sousse
*Abdelkarim Aouiti : Professeur assistant, Institut supérieur d’études juridiques et politiques, Kairouan
*Abderrazak Mokhtar :Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit et des sciences politiques, Sousse
*Adel Sahli, assistant de l’enseignement supérieur, Institut supérieur de gestion, Tunis
*Ayad ben Achour : Ancien doyen et professeur de l’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis *Chaker Alhoki : Professeur assistant, Faculté de droit, Tunis
*Hatem M’rad : Hatem Mourad : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis
*Lamia Naji : Chargée de cours, Faculté de droit, Sfax
*Majda M’rabet : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, économiques et comportementales à Jendouba *Montasser Cherif :Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit et de sciences politiques, Sousse
*Mounia Benjemi : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis
*Naila Chaabane : Ancienne doyenne et professeur de l’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis *Neji Bakoush : Ancien doyen et professeur de l’enseignement supérieur, faculté de droit, Sfax
*Noufal Jemali :Assistant d’enseignement supérieur, Faculté de droit, Sfax
*Ridha Jenaieh : Reda Jneih : Professeur émérite d’enseignement supérieur, Faculté de droit et de sciences politiques, Sousse
*Saghir Zakraoui :Professeur d’enseignement supérieur, Faculté de droit et de sciences politiques, Tunis
*Salim Laghmani : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis
*Salma Obeid :Assistante de l’enseignement supérieur, Faculté de droit, Sfax
*Sana ben Achour : Professeur d’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis
*Wahid Farchichi : Ancien doyen et professeur de l’enseignement supérieur, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Tunis *Walid Larbi, Professeur assistant, Institut supérieur de gestion, Bizerte *Hammadi Radissi, Professeur, Faculté de droit, Tunis
*Marwan Dimassi :Assistant, Faculté de droit et des sciences politiques, Sousse *Mohamed El Ajmi :Assistant, Faculté de droit et de sciences politiques, Sousse