Par Raouf Ben Rejeb

Le président de la République, Kaïs Saïed, a réaffirmé la détermination de la Tunisie à faire réussir le prochain Sommet de la Francophonie, prévu à l’île de Djerba, et veiller à réunir toutes les conditions nécessaires à sa réussite. Recevant samedi 9 octobre la secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo. Le chef de l’Etat a, a mis en avant les efforts inlassables déployés à cet effet, passant en revue l’avancement des préparatifs pour cet événement à tous les niveaux afin que “la Tunisie soit prête à abriter cet événement régional important”, lit-on dans le communiqué de la Présidence de la République.

Ce communiqué lapidaire qui se veut rassurant quant à la tenue de ce sommet aux dates prévues n’en est pas moins révélateur des inquiétudes qui ont pris une certaine ampleur sur son organisation dans moins de deux mois surtout en raison de l’évolution de la situation politique en Tunisie. D’aucuns ont d’ailleurs estimé que la nomination d’une femme, une parfaite francophone ayant fait ses études à Paris est un gage avancé pour montrer la capacité de notre pays à honorer cet engagement international, car il s’agira du plus important événement international que la Tunisie organisera sur ses terres. Puisque des délégations de très haut niveau représentant quelques 88 pays sont attendues. Pas moins de cinq mille personnes seront présentes aux différentes manifestations prévues à cette occasion.

Lorsque la Tunisie a postulé pour accueillir le Sommet du Cinquantenaire de la Francophonie de 2020, nous étions en 2016. Le défunt président Béji Caïd Essebsi était aux manettes et il tenait à ce que cette grande messe des pays ayant la langue française en partage à l’occasion du 50ème anniversaire de la  création de ce mouvement soit l’occasion de rendre l’hommage qu’il mérite au premier président de la République Habib Bourguiba qui fut son mentor et dont tout le monde devra reconnaitre qu’il fut l’un des pères fondateurs de la francophonie avec certains de ses pairs africains et asiatique.

Même si c’est historiquement prouvé que ni la France, ni les pays du Nord usant le français n’ont été à l’origine de la francophonie, dont la gestation a été l’œuvre de Bourguiba avec ses homologues sénégalais, Léopold Sedar Senghor, nigérien Hamani Diouri et le prince Norodom Sihanouk du Cambodge, l’appartenance à cet espace du fait qu’il était celui du pays colonisateur n’a pas été chose aisée. L’Algérie, grand pays où le français était d’usage quasi-général a dès le départ refusé d’en faire partie. D’ailleurs la première organisation mise en place n’avait pas dans son appellation la moindre référence à la francophonie. En 1970 fut créée, en effet l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Créée à Niamey le 20 mars 1970, célébrée d’ailleurs comme la journée de la Francophonie, l’ACCT est selon sa charte l’organisation intergouvernementale chargée d’intensifier la coopération culturelle et technique entre ses membres francophones. Ce n’est qu’en 1996 qu’elle deviendra, l’Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF). Celle-ci est ensuite intégrée au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie le 1er janvier 2006. Entre-temps, un secrétariat général de Francophonie est créé en 1997 et son premier titulaire fut l’ancien ministre égyptien des Affaires étrangères Boutros Boutros-Ghali à qui les américains refusèrent un second mandat à la tête du Secrétariat général de l’ONU.

Relation ambivalente

De ce fait, la Tunisie avait une relation ambivalente avec cette organisation. Certes, elle en a été l’un des fondateurs mais ne se recherchait pas de visibilité en son sein, surtout avec l’avènement de l’ancien président Ben Ali qui tenait à mettre en évidence l’attachement du pays à sa langue nationale l’arabe. Ainsi a-t-il tenu à s’adresser au président français dans la langue nationale lors du Toast prononcé à l’Elysée lors de sa visite d’Etat à Paris à l’invitation du président français François Mitterrand. De même qu’il avait instruit son ministre de l’Intérieur Abdelhamid Escheikh de prononcer en langue arabe le discours d’ouverture de l’Assemblée générale tenue en juillet 1990 à Tunis de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) que présidait le maire de Paris et futur président de la République française Jacques Chirac, en arabe devant un auditoire médusé et de délégués tunisiens fort embarrassés.

D’ailleurs, tout au long de son histoire, notre pays n’a pas candidaté pour abriter une conférence au Sommet de la Francophonie. Alors que Dakar, la capitale du Sénégal avait accueilli le 4ème Sommet en 1991 et le 15ème en 2014, Tunis n’a pas fait acte de candidature, tant et si bien qu’elle a été devancée par Beyrouth, comme première et jusqu’ici seule ville arabe à abriter une telle rencontre. Ce fut à l’occasion du 9ème Sommet en 2002, alors que depuis longtemps le français avait perdu sa place de seconde langue au Liban.

Quand il a accepté d’accueillir dans sa capitale le Sommet du Cinquantenaire Béji Caïd Essebsi a-t-il subi des pressions amicales pour s’y résoudre. On ne peut l’affirmer mais le fait est que la Tunisie avait été représentée par le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Sabri Bachtobji lors du Sommet d’Antanarivo, capitale de Madagascar qui avait décidé d’offrir le 18ème Sommet prévu en 2020 à la Tunisie. Du reste aucun chef d’Etat tunisien ne prit part à une conférence francophone de ce niveau, la présidence de la délégation étant confiée au Premier ministre ou au ministre des Affaires étrangères.

« Le testament » de Béji Caïd Essebsi

Béji Caïd Essebsi fut jusqu’ici le seul président tunisien à prendre part à un Sommet francophone lorsqu’il lui a fallu se rendre à Erevan, capitale de l’Arménie qui accueillit la 17ème édition en 2018 pour adresser ses « remerciements » aux pays francophones pour la confiance qu’ils ont placée en la Tunisie qui abritera le 18ème Sommet de l’organisation.  Il a souligné que son pays « ne va pas lésiner sur les moyens pour que cet important rendez-vous de la francophonie, qui coïncidera avec la célébration du 50ème anniversaire de la création de l’Organisation Internationale de la Francophonie, soit un changement qualitatif du point de vue travail et programmes afin d’atteindre les objectifs fixés par les pères fondateurs, et à leur tête le leader Habib Bourguiba ».

En prononçant ses mots, savait-il que ce ne serait pas lui qui accueillerait ses pairs francophones et ce serait en quelque sorte le testament qu’il laisserait à son successeur. Il ne pouvait imaginer qu’il allait refiler « une patate chaude » à celui qui allait prendre sa place au Palais de Carthage, alors que ce dernier n’en demandait pas tant et n’était particulièrement préparé pour accueillir 88 chefs d’Etat, de gouvernement ou de délégation venus des quatre coins du monde.

Le tableau de calligraphie arabe

De fait en accédant à la présidence de la République, Kaïs Saïed prit tout son temps avant de s’occuper de cette échéance qui n’était pas lointaine puisque sa date a été fixée pour les 12 et 13 décembre 2020. La première rencontre entre le chef de l’Etat tunisien et la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, la Rwandaise Louise Mushikiwabo n’eut lieu que le 29 janvier 2020

Le président de la République affirma à cette occasion la volonté de la Tunisie de faire de cette date importante un succès qui confirmera son attachement à ses engagements et son ouverture sur son environnement méditerranéen en général. Par ironie et pour une toute autre raison, Kaïs Saïed offrit à son interlocutrice, à l’issue de cette rencontre, un tableau de calligraphie arabe !

Alors que le temps était compté, un silence radio s’installa ensuite sur le sujet. Alors que des ambassadeurs à Tunis des pays concernés s’inquiétaient du retard pris dans l’organisation d’un événement de cette ampleur, les Tunisiens se faisaient rassurants. Il a fallu attendre le 19 mai 2020 pour que Kaïs Saïed prenne son téléphone et appelle la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo à qui il va proposer le report du Sommet à l’année suivante en raison de la propagation de la pandémie du coronavirus ainsi que sa délocalisation sur l’Ile de Djerba, une proposition accueillie positivement, selon le communiqué de la Présidence de la République via le réseau social Facebook. «En raison de la crise sanitaire qui touche aujourd’hui le monde entier et des nombreuses incertitudes qui en découlent», la présidence de la République tunisienne propose que le sommet «se tienne à Djerba en 2021», a indiqué l’OIF dans un communiqué. La nouvelle date ne fut fixée qu’en décembre 2020, lorsqu’un communiqué indiqua que « les 20 et 21 novembre 2021, l’île de Djerba accueillera le 18e Sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie, sur une initiative du président de la République, Kaïs Saïed, en accord avec la Secrétaire générale de l’OIF ». À travers le choix de Djerba, candidate pour l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, le président Kaïs Saïed a voulu adresser  » un message fort, confirmer un objectif ambitieux à savoir, celui de consacrer la décentralisation et de créer une dynamique nouvelle, une dynamique économique, sociale et culturelle du sud tunisien.  La présence d’un aéroport international, d’une riche infrastructure hôtelière et de salles de congrès a également dicté ce choix.

La valse-hésitation

Mais si la gestation a été à l’évidence laborieuse, le backstage n’a pas été épargné, puisque les équipes chargées de l’organisation ont été changées plusieurs fois, à l’image de la valse qui a touché les titulaires du département des Affaires étrangères. Ainsi le coordinateur général actuel du comité d’organisation l’ambassadeur Wacef Chiha est le troisième à remplir cette fonction depuis que le privilège échut à la Tunisie d’accueillir ce Sommet. Pour rappel, La présidence du comité d’organisation revient au ministre des Affaires étrangères dont l’actuel titulaire, Othman Jerandi que l’on dit partant est le quatrième à assumer cette charge sous la présidence de Kaïs Saïed, ce qui ne manque d’avoir des effets sur la tenue de ce sommet.

Des bruits ont d’ailleurs circulé sur l’éventualité de l’annulation de ce sommet ou tout du moins son retrait de la Tunisie pour son déplacement au pays du siège, la France. Ces bruits ont été démentis du côté tunisien qui a souligné selon la nouvelle porte-parole du Sommet, Karima Bardaoui que les préparatifs du XVIIIème Sommet de la francophonie, prévue, les 20 et 21 novembre sur l’île de Djerba avancent, à grands pas. ”Pour le moment, l’information, selon laquelle, l’OIF serait déterminée à retirer le sommet à la Tunisie est dépourvue de tout fondement “, a assuré la porte-parole du Sommet qui se trouvait sur les lieux de l’événement (île de Djerba).

La situation d’exception dans laquelle se trouve la Tunisie suite aux décisions prises par le président Kaïs Saïed le 25 juillet et surtout le 22 septembre ne sont pas de nature à plaider en faveur d’une participation de haut niveau à ce Sommet quand bien même la Tunisie va s’y cramponner. Car plus que la présence à cette conférence, la participation peut être considérée comme un soutien indirect au président tunisien, ce que certains pays ne voudraient pas manifester. Si la situation politique en Tunisie ne se normalise pas avant la tenue du Sommet, et surtout si des informations continuent à circuler sur des atteintes aux libertés publiques et notamment aux journalistes, le report du cette conférence ou son annulation deviennent des éventualités incontournables

RBR