Par Soufiane Ben Farhat

De mémoire d’homme, on n’a jamais vu ça. J’ai beau remonter dans l’histoire de la Tunisie indépendante, c’est de l’inédit. En effet, l’Etat tunisien a toujours été uni et son administration cohérente. Ainsi, même outrancièrement centralisé sous l’ancien régime, voire despotiquement administré, jamais la fragmentation et l’inconsistance ne l’ont frappé de plein fouet comme par la misère de ces jours.

Résumons. Aujourd’hui, le système a enfanté un archipel de pouvoirs non seulement antagoniques mais en sus inefficaces et fantasques. En effet, le chef du gouvernement agit seul et en pointillé de surcroît. Quant au président de la République, il n’a de cesse de rappeler son hypothétique magistère dans des discours oiseux et emphatiques. Enfin, le chef du Parlement, atteint de maladie mystérieuse, se cache tout simplement.

En fait, les derniers chiffres des victimes du Covid-19 s’avèrent on ne peut plus douloureux. Pas moins de 317 morts annoncés pour la seule journée du jeudi 22 juillet. Encore faut-il, là aussi, tenir compte des décomptes officieux qui parlent d’un chiffre réel trois fois plus élevé. Soit un millier de morts en vingt-quatre heures.

Déclarations à l’emporte-pièce

Entretemps, que font nos gouvernants ? Chacun y va de son petit solo désespéré et inaudible au bout du compte. Pourtant, tout autour de nous, la situation empire à vue d’œil. Les déclarations à l’emporte-pièce ne sauraient apaiser.

Hichem Mechichi, chef du gouvernement, s’empêtre dans un bras de fer avec certains de ses ministres. La direction est brumeuse et l’intendance ne suit pas. En fait, une dizaine de ministères sont administrés par intérim. Du coup, les intérimaires ne réussissent guère ni dans leurs portefeuilles initiaux et encore moins dans les départements pris en charge par assignation.

Les victimes par dizaines de milliers

Malheureusement, des domaines aussi importants et vitaux que la Santé, les Affaires sociales, l’Agriculture, la Pêche et les ressources hydrauliques, le Tourisme, la Culture ou les Technologies nouvelles demeurent en suspens. Il n’y est guère de réformes ou de décisions et celles qui y sont esquissées demeurent en suspension.

Les chefs respectifs se contentent de rappeler à longueur de journées qu’ils sont les véritables chefs. Autrement, à les en croire, tout va très bien madame la marquise.

Les généraux de l’armée morte

En fait, les Tunisiens semblent hagards et désespérés. La patience a ses limites. Et l’on ne voit guère le bout du tunnel, hormis les déclarations tonitruantes cycliques des petits gouvernants.

Pourtant, on avait cru pouvoir en sortir. En fait, les retards dans l’acquisition et l’administration des vaccins est la principale source de la propagation vertigineuse de la pandémie. Celle-ci atteint son pic ces deux jours. Son intensité mortelle pourrait encore durer deux à trois semaines, les déboires de la fête de l’aïd aidant. Toutefois, la décrue pourrait être raisonnablement espérée d’ici là mi-août.

D’ici-là, nos petits gouvernants pourront continuer à camper à loisir leur figuration de généraux de l’armée morte. Sur fond de logomachie et de flagorneries bien évidemment.

L’antichambre de l’enfer

On l’a compris, nos petits gouvernants s’apparentent aux rois fainéants et se contentent d’administrer le ministère de la parole. A force d’en faire, cela devient franchement ennuyeux et réellement contreproductif.

En fait, le citoyen lambda juge sur pièces. Il n’a cure des longs discours et des déclarations d’intention, si généreuses soient-elles. Depuis plus d’une année et demie il subit les affres cumulatifs du trafic des bavettes, des confinements inachevés, des contaminations exponentielles, de l’absence des vaccins, des centaines de milliers d’atteintes et des milliers de morts.

les Rois fainéants, sous cieux aussi

Ajoutons-y le renchérissement des prix, les accapareurs, les spéculations, l’inflation, la corruption érigée en système, la criminalité en hausse et l’insécurité généralisée. Bref, se dit-on à part soi, la Tunisie est devenue l’antichambre de l’enfer.

Tel est le triste bilan des Etats-Désunis de Tunisie. Pourtant, nos petits roitelets de circonstance ne semblent guère s’en soucier. Ils occupent les devants de la scène, c’est leur seul horizon, si étriqué et misérable soit-il.

La Tunisie ne sombrera pas. On a vu pire et nous sommes toujours revenus de loin. Cependant, la mémoire collective retiendra les méfaits de ceux qui nous régentent en ces temps particulièrement cruels et meurtriers. Comme elle l’a toujours illustré dans ses divers et innombrables rappels. Tantôt épique, tantôt surfant sur la dérision, la mémoire collective tunisienne a toujours immortalisé dans le registre de l’opprobre les méfaits des dirigeants corrompus, défaillants ou félons.

S.B.F