Par Soufiane Ben Farhat

C’est à ne plus rien y saisir. En effet, l’année politique, supposée être bientôt close, ne semble même pas avoir commencé. Trois faits majeurs en sont témoin.

En premier lieu, le Dialogue national annoncé par la centrale syndicale, l’Ugtt, en novembre dernier, n’a guère vu le jour. Deuxièmement, le remaniement ministériel du 16 janvier dernier, n’a guère été finalisé. En effet, le président de la République, Kaïs Saïed, refuse la prestation de serment des onze nouveaux ministres désignés par le chef du gouvernement, Hichem Mechichi. Du coup, huit ministères sont toujours administrés par intérim. Finalement, le Parlement, tiraillé par des luttes partisanes et sectaires acerbes, n’arrive même plus à assumer sa fonction législative. Moins d’une dizaine de lois ont été votées en deux ans. Ceci sans prendre en considération les projets de loi à article unique entérinant des prêts grevant davantage l’économie exsangue.

Indicateurs catastrophiques

La pandémie du coronavirus aidant, l’économie tunisienne semble bel et bien à genoux. En fait, pour la première fois depuis 1962, le PIB a régressé de 12 % selon le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi. Quant à l’endettement, il atteint 95 % du PIB. Le chômage massif sévit. En effet, il a augmenté de moitié par rapport à ce qu’il en était dans l’ancien régime. Avec plus de huit-cent mille chômeurs, on touche le fond. Également la paupérisation rampante. La pauvreté atteint 21 % sous nos cieux d’après les statistiques officielles.

Quant au renchérissement des prix, il est pour le moins vertigineux et catastrophique. Le pouvoir d’achat du commun des Tunisiens en souffre éperdument.

De même, sur le plan macroéconomique, c’est aussi grave, sinon plus. Le taux d’investissement, qui était de 26%, n’est plus que de 12 %. En revanche, le taux d’épargne des ménages, qui dépassait les 22 %, s’est rétréci pour végéter à 8 %. Dès lors, les ressorts de la relance se retrouvent frappés de plein fouet.

Sinistrose et perte de confiance

Naturellement, la sinistrose l’emporte. On dirait que la pandémie du coronavirus s’est doublée chez nous d’une épidémie de dépression aiguë et largement répandue. Le taux de pessimisme avoisine les 90 % selon des études publiées la semaine dernière. Il s’agit du taux le plus élevé depuis la création du baromètre de Sigma en 2015.

Dans le détail, près de 76 % des Tunisiens estiment que le pays est sur la mauvaise voie. De même, 73 % estiment que la situation financière cette année est pire que l’année dernière.

En fait, la perte de confiance dans le présent et l’angoisse du lendemain sont les sentiments les plus diffus auprès des larges couches de Tunisiens. Par-delà les barrières sociales, de classe ou de profil socio-type.

Désillusion tous azimuts

Les premiers à décevoir, ce sont les responsables politiques. Plus précisément ceux supposés être tels. Il y a quelques jours, Tunisia Survey a publié son baromètre de popularité des trois présidents. Rached Ghannouchi, président du parti intégriste Ennahdha et président du Parlement, l’emporte haut la main dans l’indice d’aversion et de répulsion.

En effet, en ce mois de mai 2021, Rached Ghannouchi demeure la personnalité politique la plus impopulaire. Pire encore, il est toujours au firmament de l’impopularité au bout de douze vagues d’enquêtes successives. En fait, ces enquêtes portent sur le taux de satisfaction du rendement desdits trois présidents.

Ainsi, le président du Parlement atteint-il 88 % d’insatisfaction auprès des Tunisiens. Le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, réalise un taux d’insatisfaction de 78 %, tandis que le président de la République totalise 46 % d’insatisfaction populaire.

Dépressions et non-dit

Bien évidemment, il ne faut guère être devin pour déceler le lien de cause à effet. D’un côté, une insatisfaction inégalée du rendement desdits trois présidents, de l’autre un taux de pessimisme diffus et manifeste de 90 %. Naturellement, les passes d’armes épisodiques et particulièrement violentes dans l’hémicycle achèvent de brosser ce tableau peu reluisant.

Il y a une triple crise sous nos cieux. Une crise sanitaire grave conjuguée à la crise économique et à la crise de confiance.

Raison pour laquelle, selon des études publiées récemment, 20 % des Tunisiens souffrent de troubles dépressifs divers. Les consultations psychiatriques ainsi que la consommation de barbituriques battent leur plein. Sans oublier d’autres aspects qui relèvent du non-dit dans une société cachotière et conformiste et où la relation entre l’être et le paraître est plutôt tordue.

Au final, la situation ne semble guère près de s’améliorer. Le système politique est tel qu’on espère peu d’un système institutionnel conçu à l’aune de la partitocratie et des délires de grandeur de petits responsables. Ceux-ci sévissent au sommet des institutions par les jeux biaisés d’une démocratie néophyte et sujette à toutes les manipulations.

En fait, tout ce beau monde bénéficie d’élections et de choix des urnes. Soit. Toujours est-il que ces choix s’avèrent contestables à la lumière des dés pipés et des entourloupettes. Prétendument démocratiques.

S.B.F