Par : Kamel Zaiem
Kaïs Saïed a mis du temps pour agir, mais lorsqu’il a bougé, il semble avoir fait des dégâts et certaines parties, très touchées par ses décisions, se trouvent déjà sur la touche.
Or, cette œuvre ne semble pas convaincre tout le monde, même au sein des structures de la société civile qui ont approuvé et soutenu le coup constitutionnel du 25 juillet 2021.
Une lune de miel gâchée
On se rappelle bien l’accueil favorable à cette initiative de la part de la Centrale syndicale qui a vite fait d’encourager Saïed à aller de l’avant et à ne pas hésiter à passer aux étapes suivantes malgré la précarité du contexte avec une forte agitation sociale.
Or, la suite ne semble pas aller de pair avec la lune de miel présumée entre Noureddine Taboubi, le SG de l’UGTT et le président de la République. Cette fois-ci, ce qui se passe au palais de Carthage a, d’une façon ou d’une autre, dépassé ce qui était attendu pour ouvrir, finalement, tous les accès possibles à Saied qui, grâce aux dispositions exceptionnelles prises, se trouve déjà le maître de la situation à tous les niveaux et il va pouvoir disposer de tous les atouts et les dispositions pour gouverner en solitaire et devenir un futur dictateur.
Dans un communiqué paru jeudi, le bureau exécutif de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a considéré que le 25 juillet 2021 représente une chance pour rompre avec une décennie de chaos, de corruption et de propagation du terrorisme, mais il a également rejeté l’utilisation du contexte actuel dans une optique de marchandage entre la liberté et la monopolisation des pouvoirs.
Une attitude prudente
Depuis le 25 juillet, l’UGTT, comme les principales forces politiques et sociales, a demandé à maintes reprises l’accélération de la formation d’un gouvernement garantissant la continuité de l’État et la réalisation des promesses, engagements et accords avec les parties sociales. Dans ce même chapitre, la Centrale ouvrière n’a pas manqué de critiquer l’absence d’une date butoir de l’état d’exception pourtant promise par le président de la République. Elle a, ainsi, rejeté le maintien des mesures exceptionnelles et leur transformation en situation permanente. Une attitude que plusieurs autres forces vives de la société civile ont adoptée.
Il en est de même pour d’autres thèmes, comme la révision de la Constitution et de certaines lois. l’UGTT considère que le débat autour de cette question doit inclure les composantes de la société, y compris les institutions de l’Etat, les organisations, les associations, les partis et les personnalités et compétences nationales capables de contribuer à l’élaboration des fondements essentiels de la troisième République.
Le communiqué de l’UGTT va encore plus loin puisqu’il exprime son étonnement quant à l’absence persistante de signes ou de procédures clairs pour mettre fin à l’impunité et la lutte contre la corruption, le terrorisme, la violation de la loi et la non-application du rapport de la Cour des comptes et le rapport de l’Inspection générale du ministère de la Justice. Il s’agit, là encore, de revendications populaires qui demeurent encore sans réponse de la part de la Présidence de la République.
En queue de poisson
D’ailleurs, la Centrale syndicale est allée jusqu’à rappeler la nécessité de respecter les acquis de la révolution, à savoir les droits et les libertés. Elle a condamné toute ingérence dans le fonctionnement de la justice et dans la liberté d’expression, des médias et de l’organisation. Elle a rejeté tout préjudice aux acquis de la société tunisienne, tels que le Code du statut personnel, la liberté de conscience et la consolidation des traditions du dialogue social.
C’est dire que les rapports entre l’UGTT et le palais de Carthage ne sont plus comme ils l’étaient il y a quelques semaines et la lune de miel risque de se terminer en queue de poisson, à moins que Saïed, qui doit être logiquement conscient de l’apport plus que crucial que le soutien de l’UGTT lui offre, ne se rebiffe pour remettre les pendules à l’heure et prendre en considération la nécessité de la concertation avec les parties qui lui ont ouvert les bras au moment opportun, à l’instar de l’UGTT, et qu’il ne doit nullement lâcher.
Verra-t-on ces relations se réchauffer au cours des prochains jours ? Ou bien verra-t-on le Président, à priori pas très bien entouré et conseillé au sein de son palais, continuer sa fuite en avant, comptant uniquement sur un populisme qui pourrait s’avérer insuffisant et inutile lorsque l’heure des comptes sonnera.