Un document a été publié hier, le 23 mai, par le journal britannique Middle East Eye (MEE). Le contenu du document, mentionnant un projet de « coup d’Etat constitutionnel », en faveur du président Kaïs Saïed, a suscité un tollé médiatique.
Un document parafé d’une filigrane « top secret » a été publié hier par le journal britannique MEE. L’écrit a été au centre de toutes les discussions depuis. Les complotistes de tous bords s’en sont donnés à cœur joie pour « analyser » ce document. Après tout, c’est un média étranger qui l’avait publié, sa crédibilité ne ferait donc aucun doute.
Or, du côté de la presse internationale, le Fact Checking a été rudimentaire. Aussi grossier que le journalisme d’investigation national, qui a cherché un nom auquel atteler un quelconque reproche pour un coup d’Etat inexistant. Néanmoins, comme la Tunisie n’est jamais à court de « spécialistes », un nom a été trouvé, et l’accusation proférée, même à demi-mots.
Le ridicule ne tue pas
Si l’on outrepasse le ridicule du contexte, on peut toutefois relever quelques faits. Qu’un brouillon soit hypothétiquement orienté sur la directrice du cabinet du président, ne veut pas nécessairement dire qu’elle l’ait lu. Ensuite, les notes blanches contiennent rarement des filigranes mates, une page vide et un cours en droit public. Puis, si Kaïs Saïed pouvait tenter un coup d’Etat, il aurait probablement essayé. Après tout, le président s’était autoproclamé « chef des forces armées militaires et civiles ». Cela étant dit, rien ne prouve l’authenticité ou le sérieux du document en question.
Les dispositions de l’article 80 de la constitution tunisienne, sujet des bévues de la presse tunisienne, sont aussi inapplicables qu’un coup d’Etat dans les règles de l’art. La Constitution de 2014 est jonchée de paradoxes. Tant et si bien qu’aucun pouvoir n’a de contrepouvoirs réels. Le président de la République ne peut pas dissoudre l’ARP. Et ni le président ni le chef de l’ARP on ne peut officialiser une motion de censure à l’encontre du chef du gouvernement.
Donc, la « dictature constitutionnelle » serait virtuellement impossible en Tunisie. Quoique l’hypothèse a fait parler les représentants de la classe politique. Le membre d’Ennahdha, Fathi Ayadi, a déclaré que son parti est « contre la propagation de ce genre d’accusation » – comprenez, contre Kaïs Saïed – ainsi que contre « ceux qui cherchent à perturber l’atmosphère générale ». Ce qui n’est pas sans déplaire à l’ex-ministre nahdhaoui très loquace, Abdellatif Mekki, qui pense que « Nadia Akacha en saurait davantage plus que le président Saïed ». De son côté, Mabrouk Kourchid, député à l’ARP pour le parti Tahya Tounes, estime que la diffusion de ce document relèverait de « l’immaturité politique ».
Belote, rebelote et dix de der
Le président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, tient des discours hostiles. Toutefois, les bavardages et le prestige représentent le gros de son mandat. Ce serait exactement pour cette raison que Kaïs Saïed n’hésite pas à mettre en scène ses actes et ses déplacements, aussi honorifiques, ou cajoleurs, soient-ils.
Néanmoins, le président est parfaitement mandaté pour représenter la diplomatie tunisienne. Et la diplomatie est l’ultime recours du pouvoir tunisien. L’Etat ne peut pas, en effet, se permettre de froisser les puissances mondiales. Le président s’est donc montré très prudent dans ses interactions avec les chefs d’Etats et les institutions internationales. Cependant, il ne se serait pas montré bien résilient face aux influences du pouvoir.
La situation n’est pas bien meilleure chez les autres représentants du pays. Le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, est extrêmement impopulaire. Les membres de son cabinet sont notamment soupçonnés de corruption, et souvent accusés d’inefficacité. Quant au président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi, il semble disparaitre derrière toutes les controverses politiques. Le chef islamiste est aussi en perte de vitesse au sein de son propre parti, Ennahdha. Le parti organisera son onzième congrès d’ici fin décembre, et l’élection d’un président suscite le débat au sein de la formation, jusque-là indivisible.