Par Soufiane Ben Farhat

En ce début de printemps, la Tunisie semble on ne peut plus perplexe et déboussolée. D’un côté, une économie au tapis, n’en finissant pas de sombrer dans une irrépressible descente aux enfers. De l’autre le surinvestissement politique sur fond de surenchères partisanes dans les rues.

Sur la voie du contre-modèle grec

En effet, la semaine écoulée, l’agence Moody’s a rétrogradé la notation souveraine de la Tunisie. Pour la énième fois. On est désormais assigné à la case B3 avec perspectives négatives. Encore un relâchement et l’on se retrouvera à la classe C. Autrement dit, l’antichambre de la banqueroute finale et fatale. Autant dire la case infamie. Ainsi, les salaires seraient suspendus, les comptes en banque saisis et le Dinar irrémédiablement voué aux gémonies. De plus, le carcan des institutions financières internationales nous réduira dès lors à une colonie administrée de l’étranger.

D’ailleurs, il faut dire que nous avons tout fait pour y arriver. En effet, le chômage massif persiste. Il atteint un peu moins de 18% de La population active, touchant  plus de 800 mille Tunisiens. En outre, il dépasse quantitativement et qualitativement les seuils fatidiques qui avaient présidé à la révolution de 2011. D’un autre côté, les investissements tarissent. Le secteur privé, crise du COVID 19 oblige, est patraque. Réellement, le gouvernement peine à dénicher des projets économiques structurants et d’envergure. Au demeurant, les exportations régressent. Ainsi, les balances commerciale et financière sont largement déficitaires. Le Dinar, lui, n’en finit pas de dégringoler, particulièrement vis-à-vis de l’Euro et des principales devises. Sans compter l’endettement extérieur qui atteint 90% du PIB. D’ailleurs, ce dernier a chuté de plus de 8%, une première depuis l’Indépendance, il y a 65 ans.

Paupérisation galopante

De fait, la paupérisation des classes populaires et moyenne constitue une tendance lourde. A preuve, le renchérissement des prix des produits alimentaires et des services vitaux à bien des égards, catastrophique. Aux dires de Mohamed Trabelsi, ministre des Affaires sociales, 1.174.000 Tunisiens ont été directement paupérisés par la pandémie et ses effets pervers. (https://blogs.worldbank.org/ar/opendata/altqdyrat-almhdwatht-ltathyr-jayht-kwrwna-ly-alfqr-fy-alalm-alnzr-aly-am-2020-walttl-aly?cid=ECR_FB_WorldBank_AR_EXT)

En même temps, la contrebande sévit. Elle est organiquement liée à la corruption, véritable fléau qui gangrène l’économie nationale. Toutes deux ont pris de l’envergure avec la crise du coronavirus qui a tout chamboulé depuis un an. Cette crise sanitaire est en soi caractéristique de l’incurie des pouvoirs publics. La Tunisie est en effet le troisième pays africain au niveau des atteintes au Covid 19.

Hélas, le système de santé a démontré toutes ses limites, malgré la qualité exceptionnelle et mondialement reconnue du corps médical et paramédical tunisien. Quant aux vaccins anti-Covid, ils ne viennent tout simplement pas, après avoir été annoncés, tambours battants, à maintes reprises. Les Tunisiens en désespèrent.

Des institutions inexistantes ou plombées

Côté politique, les institutions plongent dans l’inanition. En fait, au cours de l’année 2020, le Parlement n’a adopté que quatre projets de loi. Quant à la Cour constitutionnelle, elle est toujours inexistante. A l’instar de quatre autres institutions constitutionnelles. La volonté politique des partis de les accaparer en est la principale cause.

La crise au sommet de l’Etat sévit. Les trois présidences passent le plus clair de leur temps dans des passes d’armes oiseuses. Les surenchères se succèdent. Et pour cause.

Le dernier remaniement ministériel constitue un véritable abcès de fixation. Onze ministres nommés le 16 janvier 2021, sur les 28 que comporte le gouvernement, sont toujours suspendus. En cause, le dialogue de sourds. Le président de la République refuse de les recevoir pour la prestation du serment constitutionnel et leur nomination formelle au Journal officiel. En effet, l’un d’entre eux est poursuivi pour corruption, tandis que trois autres sont soupçonnés de conflits d’intérêts.

Nommé par le chef de l’Etat, M. Kaies Saied, le chef du gouvernement, M. Hichem Mechichi, se rebiffe. Il est désormais l’allié de M. Rached Ghannouchi, président du Parlement et du parti Ennahdha. Le président de la République refuse d’entériner le remaniement, le camp adverse menace de le destituer, en vain.

Les rues menaçantes

A défaut de programme de sauvetage et d’efficience, le camp gouvernemental en appelle à la rue. Préparée depuis de longues semaines, la manifestation d’Ennahdha, parti gouvernemental, a réuni des milliers de fidèles ce samedi 27 février. Elle intervient à une semaine d’intervalle d’un meeting organisé à Sousse par le principal parti de l’opposition, le Parti Destourien Libre (PDL). Lui aussi avait réuni des milliers de supporters.

On se livre depuis à une guerre d’images. Chacun crie victoire. On surenchérit sur le nombre de participants. Les Tunisiens, eux, regardent, médusés.

D’aucuns en appellent à un improbable Dialogue national. Paradoxalement, chacun exige, au préalable, la mise à l’écart d’autres protagonistes.

Entre-temps, l’image des principaux responsables politiques aux commandes des affaires périclite dans l’opinion. Les sondages favorisent toujours M. Kaies Saied à la prochaine élection présidentielle, talonné par Mme Abir Moussi, présidente du PDL. Le PDL l’emporterait haut la main dans les prochaines élections législatives, doublant même le score d’Ennahdha.

Nos responsables politiques préfèrent visiblement se complaire dans l’illusion et les exercices contorsionnistes. Les véritables pulsions de la rue, ils n’en ont cure. Du fric, ils en ont pour mobiliser le ban et l’arrière-ban des troupes fourvoyées par la propagande au ras des pâquerettes. Des projets réels pour le sauvetage du pays ? Là ils sont logés à l’infâme enseigne des abonnés absents.

S.B.F