Par Brahim Oueslati
L’annonce de la démission de 113 dirigeants du mouvement Ennahdha, suivis de 18 autres dans la soirée d’hier, a sonné comme une onde de choc pour les observateurs de la vie politique nationale. La liste comprend des dirigeants de premier rang dont notamment les anciens ministres Abdellatif Mekki et Mohamed Ben Salem, des députés comme Samir Dilou, Jamila Ksiksi, réputée proche de Ghannouchi, Toumi Hamrouni, Rabeb Letaïef et Nassiba Ben Ali. Ils accusent «la direction actuelle d’être responsable de l’isolement (du mouvement) et en grande partie de la dégradation de la situation générale dans le pays».
Ennahdha traîne une image négative dans l’opinion publique, en raison de son incapacité à gérer les affaires du pays et son hégémonie sur la scène politique. Tant il est vrai que son président Rached Ghannouchi a réussi au cours des dernières années à tirer les marrons de feu par des moyens peu orthodoxes, faisant la pluie et le beau temps. Sa longévité à la tête du mouvement a fait de lui un vrai patriarche, à qui personne ne doit dire non, même s’il a tort et que ses décisions pourraient mener à la déconfiture. « Et quand le patriarche est affamé, il vole comme un autre », disait le proverbe.
Implosion déjà dans l’air
Cette implosion était, déjà, dans l’air depuis quelque temps. Tout a commencé à se gâter à la veille des élections législatives d’Octobre 2019 quand le président du mouvement Rached Ghannouchi avait décidé de remplacer de manière unilatérale les têtes de listes issues des primaires régionales par des personnalités proches de lui, évinçant ainsi des dirigeants considérés comme rebelles et insoumis à la volonté du « vieux Cheikh ».
La victoire mitigée d’Ennahdha dans les législatives, il n’a remporté que 52 sièges devant sin rival Qalb Tounes 38 sièges, a permis mouvement islamiste de proposer un candidat à la primature. Et alors que l’on s’attendait à une personnalité de premier rang, le Conseil de la Choura contrôlé par Ghannouchi, à travers Abdelkrim Harouni, a puisé dans un autre registre pour avancer le nom de l’ancien secrétaire d’état à l’agriculture, Habib Jemli dont l’équipe n’a pas été validée par les députés de l’Assemblée des représentants du peuple dont des membres d’Ennahdha.
Ghannouchi qui, entre temps, a été élu au perchoir avec une courte majorité, 123 voix sur 217, grâce à une alliance contre nature avec son ennemi juré d’hier Nabil Karoui, avait promis, dans son discours d’investiture, d’être le président de tous les Tunisiens. Lapsus ou message à peine voilé à Kais Saied qui vient d’être élu à la présidence de la République avec un score éloquent de plus de 72% des suffrages exprimés ? Connaissant bien Ghannouchi qui a toujours caressé le rêve de présider la Tunisie et qui, aptes la disparition de son allié du consensus Béji Caid Essebsi, se voyait déjà dans la peau du seul maitre à bord du pays, ne saurait être fortuite. Un crime de lèse-majesté pour Saied qui a toujours cherché à s’en venger par un affront public, martelant à chaque fois, qu’il n’y a pas de président que lui.
Personnalité clivante
Personnalité clivante, Ghannouchi s’est heurté à une opposition frontale de la part de la présidente du PDL Abir Moussi qui l’a descendu de son piédestal, le malmenant en direct devant les caméras de la télévision. La Troïka parlementaire composée d’Ennahdha, EL-Karama et Qalb Tounes, lui a permis par, moments, de régner, en maitre absolu au palais du Bardo ainsi que dans la salle du Trône où il présidait les réunions du bureau de l’Assemblée, pour faire passer, par force, toutes les décisions. Même s’il avait échappé à une motion de retrait de confiance, grâce à la connivence des députés de Qalb Tounes, son imagé a été fortement écornée et elle a durement impacté celle de son mouvement.
Ghannouchi a également commis un impair qui s’est avéré fatal pour lui et pour son parti, c’est d’avoir défié le chef de l’Etat, en retournant son poulain, Hichem Méchichi, contre lui. Mais c’était mal connaitre la personnalité de Kais Saied et sa capacité à bouleverser la donne et à renverser la table. Le 25 Juillet dernier, il a pris de court tout le monde pour annoncer l’état d’exception en vertu de l’article 80 de la Constitution. Incrédule au départ, Ghannouchi n’a pu mesurer la réalité des choses et la gravité de la situation que quand, flanquée de sa vice-présidente Samira Ghannouchi, se sont vus tous les deux interdits d’entrer au parlement par un soldat bien droit dans ses bottes qui avait juré de défendre la Patrie. C’était comme si le ciel lui était tombé sur la tête.
Décidé à défende son pré carré, plutôt son fauteuil, le vieux octogénaire a remué terre et ciel pour faire entendre ses appels au soutien à la démocratie, sa démocratie à lui, qui est en danger. Peine perdue, malgré les milliards dépensés à l’étranger et dont ont profité des lobbyistes attitrés et des médias qui en redemandaient. Ses protecteurs turcs et qataris n’ont pas volé à son secours, en raison de profonds changements que connait la région, avec la réconciliation entre Qatar et ses voisins, et le réchauffement des relations entre la Turquie, d’un côté, l’Arabie Saoudite et l’Egypte de l’autre. Les deux soutiens de la confrérie islamiste.
Sortie par la petite porte
La cuisante défaire de islamistes dans les législatives marocaines où le PJID, au pouvoir depuis dix ans, n’a récolté que des miettes ( 13 sièges contre 125 dans le précédent parlement) a sonné le glas pour l’Islam politique dans la région. Des vents mauvais se sont levés sur ce segment du champ politique au Maghreb après une décennie de mauvaise gouvernance. Même si en Tunisie, l’affront anti-Ennahda ne tient pas du désaveu des urnes, mais il a été le fait de la décision d’un seul homme, un président élu, mais le résultat est identique. Ce que Ghannouchi n’a pas compris et qui continue dans le déni de son échec et celui de son mouvement accusés de tous les maux du pays au cours des dernières années.
Régnant sans partage sur son mouvement, depuis quatre décennies, après s’être débarrassé de tous ses rivaux dont le cofondateur Abdelfettah Mourou, candidat malheureux à l’élection présidentiel, Rached Ghannouchi continue de s’accrocher à son siège. Il risque de sortir par la petite porte.
B.O