Du 9 au 11 juillet, les chefs d’Etat du Libéria, de la Guinée-Bissau, du Sénégal, de la Mauritanie et du Gabon seront à Washington. Invitation ou convocation ? La poussée diplomatique africaine de Trump semble à peine commencer.

Un sommet africain miniature se tiendra du 9 au 11 juillet dans la capitale américaine, Washington. L’administration Trump prépare un plus grand sommet Afrique – Etats-Unis, prévu en septembre – mais pas uniquement. En effet, la diplomatie américaine semble déterminée à redistribuer les cartes sur l’ensemble du continent.
Ce n’est pas simplement une nouvelle improvisation de Trump en mode Bismarck. Plusieurs détails de la rencontre entre le président américain et les chefs de cinq Etats Africains soulèvent des questions. D’un côté, l’annulation de dernière minute de l’invitation adressée à la Côte d’Ivoire pourrait s’expliquer par l’élection présidentielle imminente dans ce pays. La diplomatie américaine ne semble pas vouloir mettre en avant Alassane Ouattara, perçu comme plus proche de l’Union européenne que de Washington. Il s’agit d’ailleurs d’un thème récurrent dans cette rencontre. Le président mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani, semble avoir été invité surtout en sa qualité d’ancien président en exercice de l’Union africaine (UA), jusqu’à février dernier. Il apparaît ainsi comme le plus à même de tempérer les divergences potentielles de ses quatre homologues.
D’un autre côté, qu’il s’agisse de Joseph Boakai (Libéria), de Bassirou Faye (Sénégal), d’Umaro Sissoco Embaló (Guinée-Bissau) ou d’Oligui Nguema (Gabon), les présidents invités à cette rencontre nourrissent principalement des ambitions diplomatiques. Leurs diplomaties respectives entretiennent de bonnes relations avec l’ensemble des Etats d’Afrique subsaharienne. Et ils se montrent clairement ouverts à un renforcement des liens avec les Etats-Unis. Que ce soit pour s’extraire du pré-carré européen, ou pour rappeler à l’ordre la Russie et la Chine, accusées de négliger leurs engagements africains depuis plus de deux ans, chacun semble avoir ses priorités.
Côté américain, la presse évoque des dizaines de scénarios. Entre pressions sur les intérêts chinois en Afrique de l’Ouest, lutte contre le narcotrafic, consolidation du récent accord de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, ou encore une simple manœuvre diplomatique « à la Trump », les médias américains font tout pour détourner l’attention de l’implication récente de l’administration Trump au Moyen-Orient (Israël-Iran) et en Europe de l’Est (Russie-Ukraine).
S’agit-il donc d’une réinitialisation de l’agenda diplomatique de Trump ? Ou bien l’Afrique représente-t-elle une victoire diplomatique facile ? Au vu des efforts déployés, cela semble plus complexe.
Une rencontre Trump – Afrique dans un contexte étrange
Donald Trump est le premier président américain républicain à organiser un sommet Afrique – Etats-Unis. Lors de son premier mandat, il ne s’est rendu en Afrique qu’une seule fois. Ses relations avec le continent étaient d’ailleurs marquées par un profond mépris, à tel point qu’il avait qualifié les pays africains de « pays de merde ». Même George W.Bush, un criminel de guerre, avait fait dix visites officielles en Afrique, et se montrait plus courtois.
Quoi qu’il en soit, Trump capitalise aujourd’hui sur les investissements de Biden, qui avait nommé une pléthore de nouveaux ambassadeurs dans les pays que Trump avait ignorés lors de son premier mandat.
Autrement dit : l’intérêt que Trump porte sur l’Afrique subsaharienne est nouveau, et ne lui ressemble pas.
Néanmoins, une poussée diplomatique en Afrique pourrait rapporter gros à la Maison-Blanche. Déjà, l’accord de paix – aux détails opaques – entre la RDC et le Rwanda, chapeauté par Trump, semble étroitement lié aux droits miniers dans la région du conflit. Par ailleurs, selon l’ONG United States Institute of Peace (USIP), les Etats-Unis « investiront surtout dans la riche ceinture de cobalt et de cuivre dans l’Est de la RDC ». Mais que signifie exactement « investir » ? Nul ne le sait. L’accord de paix n’est pas public, et ses détails sont soigneusement passés sous silence. Même sa signature, célébrée en grande pompe par les médias américains, est passée relativement inaperçue à l’international.
Il ne fait donc aucun doute que la prochaine rencontre avec les dirigeants africains aboutira à des deals tout aussi discrets. Quant au sommet Afrique – Etats-Unis, il ne pourra être que la célébration (américaine) d’un potentiel retour en force sur le continent.
Notons également que, depuis le début de la série de coups d’Etat au Sahel, la Chine a pratiquement déserté plusieurs de ses projets majeurs en Afrique de l’Ouest. Côté Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, le groupe Wagner prend beaucoup de recul en Afrique. D’ailleurs, le groupe paramilitaire a annoncé récemment son retrait définitif du Mali, affirmant avoir « accompli ses objectifs » en « éradiquant la présence terroriste ». Une déclaration pour le moins douteuse.
Dans tous les cas, le contexte de cette rencontre – prélude au fameux sommet Afrique – Etats-Unis – reste étrange, surtout à la lumière des récentes positions américaines vis-à-vis du continent. Dès le début de son second mandat, Trump avait annulé la majorité des aides destinées aux pays africains. Ensuite, les Etats-Unis ont interdit l’entrée sur leur territoire aux ressortissants de douze pays africains. Aujourd’hui encore, Washington envisage d’ajouter 26 pays africains à une nouvelle liste de 36 pays concernés par cette interdiction de voyager.
Trump fidèle à lui-même
Cette politique de bras de fer correspond bien davantage à la diplomatie de Trump. Certains pays africains l’avaient d’ailleurs très mal perçue, comme le Tchad, qui avait adopté une mesure réciproque à l’égard des citoyens américains. D’autres, comme le Mali et la Libye, semblent éviter d’aborder le sujet. Pour Human Rights Watch, cette interdiction généralisée de voyager constituerait une « nouvelle mesure anti-immigrés » signée Trump. Pour Amnesty International, elle est « discriminatoire, raciste et complètement cruelle ».
Pourtant, tout semble indiquer que la méthode d’intimidation de Trump a ses chances de réussir. La diplomatie américaine a soigneusement préparé le terrain. Et il faut reconnaitre qu’à chaque fois – avec l’Ukraine ou l’Iran notamment – Trump a su négocier les intérêts américains depuis une position de force. Et si le président américain reste fidèle à lui-même, il exigera sans doute une concession de chaque Etat participant à son sommet, en échange d’une contrepartie aussi minime que possible.
Ainsi, pour les Etats enclavés d’Afrique de l’Ouest, les Etats-Unis pourraient proposer d’installer de nouvelles bases militaires contre des avantages commerciaux. Quant aux pays du golfe de Guinée, Trump ne se gênera pas pour contester les intérêts français ou européens dans la région, surtout dans un contexte où les contributions européennes à l’OTAN, exigées par Washington, demeurent incertaines. Pour les chefs d’Etat présents aux rencontres du 9 au 11 juillet, il s’agira avant tout d’une démonstration de force, pour jauger « l’humeur africaine » à l’approche d’un sommet qui pourrait réserver bien des surprises.
Un autre enjeu majeur pour les Américains : celui de tester la loyauté de leurs représentants en Afrique, mais également de réaffirmer leur présence diplomatique. Depuis une décennie, les Etats-Unis se sont contentés d’un rôle de soutien, laissant les Européens en première ligne pour la défense des intérêts géostratégiques occidentaux. Un fiasco : la France, autrefois première puissance militaire occidentale au Sahel, a été boutée hors d’Afrique au fil des coups d’Etat successifs. Mali, Tchad, Guinée, Burkina Faso, Niger – le discours et les procédures anti-français se sont multipliés. Il est clair que les Etats-Unis tentent aujourd’hui de faire d’une pierre deux coups : réinstaller la présence occidentale dans la région et, paradoxalement, capitaliser sur le ressentiment anti-français. Avec la présence russe au point mort, Trump semble décidé à saisir l’opportunité. Reste à savoir si les Etats africains feront preuve d’unité ou, dans un élan de lucidité, y verront de l’opportunisme.