Par : Kamel Zaiem
Le temps passe et commence à inquiéter les Tunisiens, mais ce n’est sûrement l’avis du principal concerné, le président de la République, qui voit les choses et les priorités autrement.
Dans trois jours, les yeux seront braqués sur les comptes bancaires des députés qui espèrent, encore une fois, bénéficier de leurs salaires alors qu’ils sont réduits au chômage et gelés depuis plus d’un mois.
Loin de l’hémicycle du Bardo, le palais de La Kasbah demeure encore désert en l’absence, qui se fait longue, du futur chef de gouvernement, alors que le président de la République n’en fait pas vraiment l’une de ses priorités.
Avec leurs propres armes
Tout doit alors passer par le palais de Carthage et par Kaïs Saïed et c’est ce qui inquiète encore plus car cette situation, avec un président de la République qui détient tous les pouvoirs, n’a rien de réconfortant même s’il s’agit d’une étape exceptionnelle dans un contexte encore plus exceptionnel.
Pourtant, les trente premiers jours viennent d’être bouclés avec un simple communiqué de la Présidence de la République qui annonce le prolongement de cette période exceptionnelle jusqu’à nouvel ordre.
C’est dire que Saïed trouve un malin plaisir à faire face à ses ennemis ou adversaires avec leurs propres armes. Pendant dix bonnes années, Ennahdha et ses complices au pouvoir ont totalement ignoré la mise en place de la Cour constitutionnelle, une institution majeure et indispensable pour la gestion du pouvoir à tous les niveaux et pour assurer le respect total de la Constitution.
La Cour de toutes les controverses
Aujourd’hui, Saïed ne peut se référer pour prendre de telles décisions qu’à cette Cour constitutionnelle. Et comme elle figure toujours dans la liste des abonnés absents, c’est donc à lui et à lui seul, en tant que président de la République, de juger de la nécessité d’imposer cette phase exceptionnelle et de juger si le pays est, oui ou non, exposé à de graves menaces. Et il doit remercier de tout cœur les islamistes et leurs alliés d’avoir balisé la route en rejetant pendant de longues années le principe de composer avec une Cour constitutionnelle.
Alors, que tous ceux qui évoquent un coup d’Etat, constitutionnel ou forcé, se taisent car ils doivent s’en prendre à eux-mêmes avant tout.
L’heure est, à présent, à la bonne gestion de cette nouvelle ère entamée par Saïed le 25 juillet 2021 pour ouvrir une nouvelle page et se lancer dans une gouvernance qui sied aux aspirations du peuple et pas celles d’un Parlement, d’un parti politique ou d’un président de la République.
Seules les actions comptent
Certes, Kaïs Saïed jouit d’un large soutien populaire exprimé de la meilleure des façons le 25 juillet, mais il doit savoir que même pour la coqueluche d’une large frange de la population, ce sont les actions qui comptent et ce sont les décisions et les orientations futures qui permettront de mieux juger ce changement majeur et mieux situer les visions d’un président pas comme les autres qui débarque sans aucun parti politique de soutien ni programme détaillé d’action.
La Tunisie s’apprête, ainsi, à vivre une nouvelle expérience, mais ses citoyens tiendront toujours à garder et à consolider leurs acquis. Aujourd’hui, tout gouvernant doit se mettre en tête que son peuple n’acceptera plus un retour en arrière ni une quelconque tentative de musellement ou d’oppression. C’est dans le cadre d’une liberté responsable et garantie que le pays va devoir avancer. Pour le moment, en cette période qualifiée d’exceptionnelle, on ne peut pas juger des intentions présidentielles à ce niveau, d’autant plus qu’une certaine gabegie semble régner au palais de Carthage et qu’une meilleure organisation s’impose pour voir plus clair.
Ça va doucement et ça lui plait
Ces derniers jours, ce sont des urgences d’ordre sécuritaire qui ont accaparé l’attention du président de la République et de son entourage, mais un rapide retour à la réalité de tous les jours s’impose. Et comme le rappelle l’UGTT, qui demeure aux côtés de Saïed malgré quelques divergences, la nomination d’un chef de gouvernement et la formation d’un gouvernement de salut doivent figurer parmi les priorités absolues pour rassurer un peuple qui ne veut plus entendre d’un retour en arrière.
De même, les commissions et les personnes qui viennent d’être chargées, officieusement, de concevoir un complément de Constitution qui mettra fin au régime parlementaire et qui permettra de mettre en place un régime présidentiel sous bonne garde, se doivent d’accélérer leur entreprise.
Saïed semble ne pas trop se soucier du facteur temps, mais il sait bien que le contexte lui impose d’agir vite après cette première phase qui l’a vu effectuer une bonne purge au sein des ministères régaliens et d’institutions majeures.
C’est dire que les prochains jours seront déterminants pour la suite de cette initiative et Saïed en est sûrement conscient. Il est vrai qu’avec un tel président, lucide et jamais pressé, il faut apprendre à patienter, mais le facteur temps est parfois aussi capital que la raison.