C’est un sujet évoqué à chaque élection, à chaque formation d’un nouveau gouvernement et même lors de la première apparition médiatique des responsables gouvernementaux, la réforme du système de subvention des produits de base.
Il s’agit d’une réforme majeure promise par les autorités avant et après la révolution. Le débat devient plus vif à la fin de chaque année à l’occasion de la présentation du projet de loi des finances. Mais aucune décision n’est prise. D’année en année la boule de neige de la subvention des produits alimentaires ne cesse de grandir.
A l’origine du système de subvention des denrées alimentaires en Tunisie
La politique de subvention a commencé au début des années 70 avec l’institution de la Caisse Générale de Compensation (CGC). L’objectif était d’agir en premier lieu sur les prix de certains produits alimentaires de base pour contenir les augmentations des prix et préserver le pouvoir d’achat des classes défavorisées.
Cela a permis de contrôler l’inflation, préserver le pouvoir d’achat des populations urbaines et renforcer la compétitivité des produits tunisiens sur les marchés internationaux. La Tunisie est devenue grâce à cette politique une destination privilégiée des investisseurs étrangers séduits par une main d‘œuvre qualifié et pas chère.
Mais voilà, les temps ont changé et le niveau bas de salaires ne suffit plus à attirer les capitaux étrangers. Malgré cela l’Etat tunisien continue de subventionner les denrées alimentaires. Pis encore, durant la crise mondiale de 2008, les subventions du carburant deviennent plus importantes que celle des denrées alimentaires de base.
Une boule de neige !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le montant des subventions des produits alimentaires de base a doublé en quelques années. Le montant de la subvention des produits alimentaires de base est passé de 730 millions de dinars en 2010 à 1,5 milliard de dinars en 2017, ce qui représente 1,7% du PIB, 5% du budget de l’Etat et 26% des dépenses de développement.
La crise économique actuelle couvant une autre crise sociale n’arrange pas les choses. Le gouvernement de Youssef Chahed après avoir mené une campagne médiatique pour préparer l’opinion publique aux réformes à venir n’a pas touché au système de subvention des produits alimentaires de base. Les détracteurs de l’ancien chef du gouvernement devenu président de parti politique et candidat à la présidentielle estiment qu’il n’a pas voulu engager la réforme du système de subvention pour des raisons électorales.
Pas touche au prix de la « Khobza » (pain)
37 ans après, l’ancienne comme la nouvelle génération d’hommes politiques tunisiens demeurent marquées par les émeutes du pain de 1984. A la demande du Fonds Monétaire International (FMI), le gouvernement tunisien décide la levée du subventionnement du prix du pain et des produits céréaliers. Plusieurs régions du pays se révoltent et des émeutes éclatent dans tout le pays à partir du 3 janvier 1984 faisant entre 70 et 143 morts et plus d’un millier d’arrestations. Trois jours après le président de la République, Habib Bourguiba, prononce une allocution télévisée dans laquelle il annonce l’annulation de l’augmentation du prix du pain.
Depuis les émeutes du pain, les gouvernements parlent de réformer le système de subvention sans jamais y toucher. Mais voilà, la Tunisie connait aujourd’hui une période similaire à celle de 1984. Dans son dernier rapport le Fonds Monétaire International par la voix de son conseil d’administration a préconisé « la nécessité de réduire la masse salariale et la limitation des subventions énergétiques ».
Un projet gouvernemental de réforme du système des subventions
Dans un article publié le 10 mars 2021, nos confrères d’« Il Boursa » révèlent les détails d’une stratégie gouvernementale visant la levée progressive des subventions de plusieurs produits alimentaires de base. Les produits concernés par cette levée progressive sont dans une première étape le lait et l’huile végétale. La deuxième étape concerne le pain et la farine puis l’ultime étape concerne le sucre, la semoule, le couscous et les pâtes.
En contrepartie de la levée des subventions sur les produits alimentaires de base, les familles nécessiteuses recevront une compensation financière pour éviter une chute brutale de leur pouvoir d’achat.
Interrogé à ce propos par La Matinale de Shems FM, le directeur de l’unité de gestion des produits de base au ministère du Commerce, Sadok Ben Njima, a démenti toute volonté d’annulation des subventions « Nous cherchons à orienter les subventions à leurs bénéficiaires réels, à savoir les classes les plus défavorisées ».
Ben Njima a expliqué que cela passe par une levée progressive des subventions jusqu’à arriver au prix réel de chaque produit sur le marché. Le directeur de l’unité de gestion des produits de base au ministère du Commerce a fait savoir qu’une cellule de travail élabore actuellement une étude qui sera soumise au gouvernement avant la fin de l’année pour finaliser le processus à suivre.
De la poudre aux yeux ?
Une délégation tunisienne se rendra le mois prochain à Washington pour présenter une feuille de route au FMI concernant les réformes qui seront engagées. Ce plan est un préalable obligatoire avant tout accord avec le FMI pouvant permettre à la Tunisie de rassembler les fonds nécessaires lui permettant de boucler son budget.
Il semble que cette information relative à une levée progressive des subventions est un prélude aux négociations avec le FMI. L’étude en cours d’élaboration dont avait parlé Ben Njima est en réalité, et selon ses propres aveux, la « re-étude » d’une autre étude élaborée par les services du même ministère, celui du Commerce, mais sous un autre gouvernement.