Paris, juillet 2025 Après des années de tolérance à l’égard d’un certain nombre d’organisations religieuses et culturelles sur son territoire, la France engage aujourd’hui une action résolue pour contrer l’influence jugée préoccupante du mouvement des Frères musulmans.

Classée organisation terroriste dans plusieurs pays, la confrérie, fondée en 1928 en Égypte, est désormais perçue par les autorités françaises comme une menace diffuse mais structurée, agissant par infiltration et influence plutôt que par confrontation directe.
Une vigilance tardive, mais désormais déterminée
Longtemps cantonnée à une approche sécuritaire, la réponse de l’État français s’élargit aujourd’hui à une lecture plus systémique de l’influence idéologique des Frères musulmans. Le Conseil de défense réuni le 21 mai dernier sous l’autorité du président Emmanuel Macron a marqué un tournant : la lutte contre cette organisation est désormais une priorité gouvernementale.
À l’issue de cette réunion, un communiqué de l’Élysée a souligné la gravité du phénomène, qualifié de « menace stratégique contre la cohésion nationale », et a appelé à un renforcement des dispositifs de lutte contre les vecteurs d’endoctrinement idéologique, en particulier ceux qui s’exercent au sein de structures éducatives, sportives ou culturelles.
Des réseaux d’influence implantés dans la société civile
Les services de renseignement, dans plusieurs notes rendues publiques notamment via Public Sénat, décrivent une stratégie d’implantation méthodique et discrète. Sous couvert d’activités associatives, éducatives ou sportives, certains réseaux affiliés aux Frères musulmans chercheraient à véhiculer une vision politique et religieuse incompatible avec les principes républicains.
Un exemple cité dans Le Figaro évoque une affaire survenue dans un club de football parisien, où un entraîneur aurait tenu un discours religieux prônant la souveraineté divine (al-ḥākimiyya) devant des enfants, en substitution à des valeurs sportives. Ce concept idéologique, hérité des écrits de Sayyid Qutb, constitue le socle de la doctrine politique des Frères, rejetant la légitimité des institutions démocratiques et prônant la supériorité de la loi divine sur les lois humaines.
L’enquête qui a suivi aurait révélé une organisation active au sein de plusieurs structures sportives, poursuivant un objectif de diffusion idéologique insidieuse, par l’encadrement et la socialisation des jeunes.
L’enjeu linguistique : une bataille culturelle
Parmi les leviers d’influence les plus sensibles figure l’enseignement de la langue arabe. L’Institut Montaigne alertait dès 2018 sur le risque que représente la mainmise d’associations religieuses sur cet apprentissage, souvent en dehors du cadre scolaire public. L’étude recommandait alors d’intégrer plus largement l’arabe dans l’enseignement public afin d’en reprendre le contrôle pédagogique.
Pourtant, malgré les recommandations d’experts et de médias comme Le Figaro et Le Parisien, l’arabe demeure marginal dans l’enseignement secondaire (moins de 3 % des établissements concernés), alors même qu’elle constitue la deuxième langue parlée sur le territoire français. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a réaffirmé la priorité de l’État : la maîtrise du français comme vecteur d’intégration. Cette position, bien qu’idéologiquement cohérente, pourrait freiner une réponse culturelle plus fine face à la concurrence idéologique exercée par des structures religieuses.
Un combat contre une idéologie subversive
Le positionnement actuel du gouvernement ne se limite plus à un travail de renseignement ou de prévention : il s’agit désormais d’une réponse offensive, juridique et institutionnelle. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a qualifié les Frères musulmans de « menace directe pour la République », dénonçant leur stratégie de déconstruction du lien social et de remise en cause des valeurs démocratiques.
Plusieurs pistes sont à l’étude : le tarissement des financements étrangers, la dissolution des associations servant de vitrines idéologiques, et l’interdiction d’accès aux relais politiques ou médiatiques. Il s’agit également de repenser les critères d’agrément des associations intervenant dans les quartiers ou auprès de publics jeunes.
Une idéologie à la source de dérives violentes
Bien que certains cadres du mouvement aient tenté de présenter une façade modérée, les racines idéologiques des Frères musulmans, notamment à travers les écrits de Sayyid Qutb, ont largement inspiré les courants les plus radicaux de l’islam politique contemporain. L’ouvrage Jalons sur la route, considéré comme un manifeste fondateur, appelle à la formation d’une avant-garde croyante destinée à renverser les sociétés qu’il qualifie de « jahiliyya » (ignorantes), légitimant l’usage de la violence pour y parvenir.
Cette vision a nourri les idéologies de groupes tels que la Jama’a islamiya, responsable de l’assassinat d’Anouar el-Sadate en 1981, ou encore du Jihad islamique égyptien, dont Ayman al-Zawahiri, proche de Qutb, devint le chef avant de rejoindre Al-Qaïda.
Une stratégie de reconquête républicaine
L’approche actuelle de l’État français semble désormais combiner trois axes : réaffirmation républicaine, reprise des espaces culturels et éducatifs, et répression ciblée des structures de l’ombre. Cette reconquête idéologique passe par la restauration d’une souveraineté culturelle, en redonnant à la République les moyens d’être présente là où elle avait cédé du terrain.
Le défi est considérable : il s’agit moins de stigmatiser une communauté que d’assainir les réseaux qui, sous couvert de religion, œuvrent à l’érosion du pacte républicain. Pour relever ce défi, la France devra conjuguer intelligence stratégique, fermeté juridique, et finesse culturelle.