La polémique qui a opposé la Tunisie à l’Ethiopie au sujet de la position tunisienne en rapport avec le Barrage de la Renaissance n’a pas beaucoup retenu l’attention, alors qu’il s’agit d’un problème majeur qui risque d’éclabousser pour longtemps les relations de notre pays avec un pays qui compte au sein de la famille africaine, à savoir l’Ethiopie dont la capitale Addis Abeba abrite le siège de l’Union africaine. La Tunisie fut rappelons-le membre fondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine, l’ancêtre de l’Union africaine.

L’activisme tunisien au Conseil de sécurité

L’Éthiopie reproche à la Tunisie son activisme au Conseil de sécurité de l’ONU marqué par sa prise de position en faveur de l’Egypte (et accessoirement au Soudan) dans ce dossier si sensible pour Addis Abeba.

Le ministère des Affaires étrangères éthiopien n’a pas fait dans la dentelle en affirmant dans un communiqué officiel, que « la Tunisie avait commis une faute historique, en incitant le Conseil de sécurité à prendre position». « Le faux pas historique de la Tunisie torpille sa responsabilité officielle en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, au nom de l’Afrique » ajoute-t-on de même source.

La Tunisie, rappelons-le, est membre du Conseil de sécurité de l’ONU élu en raison de son appartenance au continent africain. C’est sur une base continentale que les membres de la haute instance onusienne sont élus. Le groupe arabe réparti entre l’Afrique et l’Asie dispose toujours d’un représentant venant de l’un des deux continents. Pour le mandat 2020-2021, la Tunisie et le Niger représentent l’Afrique. Pour le prochain mandat 2022-2023 ce sera le tour du Ghana et du Gabon. Quant au groupe arabe, il sera représenté par l’Etat des Emirats arabes unis, élu au nom du groupe asiatique.

Prendre fait et cause en faveur de l’Egypte

Alors qu’elle devait avoir une position équilibrée sur un problème qui concerne autant l’Afrique que le monde arabe, la Tunisie a dès le départ pris fait et cause en faveur de l’Egypte. En visite au Caire début avril 2021 le président de la République Kaïs Saïed a souligné que la sécurité nationale de l’Egypte est celle de la Tunisie et que la position de l’Egypte, en matière du partage équitable des eaux du Nil, lors des rencontres internationales, est également celle de la Tunisie. Une position réitérée par le chef de l’Etat tunisien en recevant le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Shoukry venu à Tunis dans le cadre d’une tournée consacrée au dossier du barrage de la Renaissance. Kaïs Saïed, a réitéré la position de la Tunisie, aux côtés de l’Egypte dans les diverses manifestations régionale et internationale afin de parvenir à une solution négociée et équitable au dossier du barrage de la Renaissance et qui préserve les droits historiques du peuple égyptien concernant les eaux du Nil.

Au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, la Tunisie a été un défenseur acharné de la position égyptienne. Dans un premier temps, la question a été soumise à l’examen de l’instance onusienne qui s’est déclarée ne pas être en mesure de trancher le litige. Suite à la proposition par l’Egypte d’un projet de résolution, le conseil de sécurité décida de s’en remettre à une médiation de l’Union africaine pour le règlement de la crise. La décision du Conseil de sécurité de soutenir la médiation africaine pour résoudre le différend avec l’Egypte et le Soudan est une « victoire diplomatique majeure » pour l’Ethiopie, a estimé le ministère des Affaires étrangères éthiopien, Elle peut être considérée « comme une grande percée pour l’Éthiopie et son peuple », a-t-on renchéri du côté d’Addis Abeba.

L’Egypte ne s’avoua pas pour autant vaincue. Elle est revenue à la charge par l’intermédiaire du membre arabe au conseil de sécurité, à savoir la Tunisie. Incapable de faire voter une résolution, elle se contentera d’une déclaration faite par la présidence du conseil de sécurité. Le conseil de sécurité y appelle les parties du barrage de la Renaissance à retourner aux négociations, se considérant comme étant « non habilité en matière de conflits techniques et administratifs sur les ressources hydriques et des fleuves ».

L’organe onusien a appelé les parties en conflit (Egypte, Soudan et Ethiopie) « à reprendre les négociations, et à revenir à l’accord de principe signé en 2015, » comme il a incité les trois pays « à aller de l’avant, d’une manière constructive et participative, dans les négociations sous l’égide de l’Union africaine ».

Selon le site du conseil de sécurité, la Tunisie avait proposé, en prélude, une résolution au sujet de cette affaire, mais « le choix a porté sur un communiqué présidentiel, étant donné que les membres du Conseil de Sécurité ne sont pas parvenus à un accord là-dessus ».

Communiqué incendiaire de l’Ethiopie

C’est cet acharnement de la Tunisie à faire adopter une résolution du conseil de sécurité qui semble mécontenter l’Ethiopie.

« La Tunisie avait commis une faute historique, en incitant le Conseil de sécurité à prendre position», souligne le ministère éthiopien des affaires étrangères dans un communiqué incendiaire contre la Tunisie. « Le faux pas historique de la Tunisie torpille sa responsabilité officielle en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, au nom de l’Afrique », renchérit-on à Addis Abeba.

L’Éthiopie dit encore ne reconnaitre aucune revendication, sur la base de la déclaration du président du conseil de sécurité. « Le communiqué du président du Conseil de sécurité des Nations-Unies, dans l’affaire du barrage de la Renaissance éthiopien, est paru, d’une manière sans précédent, neuf semaines après la réunion ouverte du Conseil de Sécurité au sujet du barrage », souligne-t-elle.

L’Éthiopie se félicite cependant que l’affaire ait été dirigée vers les négociations tripartites conduites par l’Union africaine, signalant qu’il est regrettable que « le Conseil annonce sa position au sujet d’une affaire liée au droit à l’eau et au développement étant en dehors de son mandat ».

Dans une réplique au communiqué incendiaire de l’Ethiopie, le ministère tunisienne des affaires étrangères s’est dit étonné de la déclaration du ministère éthiopien des Affaires étrangères, dans laquelle elle « met en cause l’engagement sincère et permanent de la Tunisie à défendre les questions africaines à l’échelle internationale, et devant le Conseil de sécurité des Nations Unies en tant que membre non permanent.

Le ministère tunisien précise que « la déclaration présidentielle concernant le grand barrage éthiopien de la Renaissance, approuvée, le 15 septembre courant, devant le Conseil de sécurité, a été présentée par la Tunisie dans le cadre de son engagement à l’échelle africaine et arabe, ainsi que dans le cadre de sa responsabilité au Conseil de sécurité pour servir la paix et promouvoir les valeurs de dialogue et de négociation », selon le ministère.

La réplique molle de la Tunisie

Il a assuré que, tout au long des négociations sur le projet de déclaration, la Tunisie a mené des contacts avec toutes les parties concernées, ainsi qu’avec les membres du Conseil de sécurité à différents niveaux. « L’objectif étant de rapprocher les points de vue et de parvenir à un accord équilibré qui tient compte des préoccupations et des intérêts de toutes les parties, garantit leur droit au développement et par la même, met la région à l’écart de toute tension » estime-t-on dans cette réplique plutôt molle de la Tunisie.

En revanche, l’Egypte a salué hier la Déclaration de la Tunisie, estimant qu’elle reflète l’importance particulière que porte le Conseil de sécurité à la question du barrage de la Renaissance, et la nécessité de contenir ses répercussions sur la paix et la sécurité internationales.

A l’évidence en prenant une position claire et franche en faveur de l’Egypte, la Tunisie s’est aliénée l’amitié et les bons rapports avec un grand pays africain, l’Ethiopie. Une position plus équilibrée aurait été dans l’intérêt de notre pays. La Tunisie qui a donné à l’Afrique son nom y aurait certainement gagné.

RBR