Le conflit arabo-israélien a connu de nombreux rebondissements ces dernières années, notamment la signature de la normalisation des relations entre les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan avec Israël sous l’égide de Washington.
La normalisation des relations entre ces pays et Israël a représenté un tournant dans l’histoire du conflit arabo-israélien.
Le rôle de la Tunisie dans ce conflit et le contexte de ces alliances font partie des questions auxquelles répond Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique et fondateur du magazine en ligne Orient XXI, ainsi qu’un spécialiste du conflit israélo-palestinien, du Moyen-Orient, et de la possibilité d’un rapprochement entre l’islam et l’Occident, dans l’interview suivant au site JDD Tunisie :
On a récemment vu le porte-parole du Hamas, Sami Abu Zuhri, mettre en garde Israël depuis la Tunisie. On se souvient aussi d’un bombardement israélien en Tunisie ou de l’assassinat, à Sfax, de Mohamed Zouari par le Mossad 2016… La Tunisie est-elle la base arrière du conflit israélo-palestinien ?
En 1982, Bourguiba et le peuple aussi avaient accueilli les Palestiniens chassés du Liban par l’armée israélienne. Chaque pays du Maghreb a ses propres relations avec la Palestine, mais est vrai que la solidarité envers le peuple palestinien a une longue histoire en Tunisie.
En août 2020, on a reproché la réaction tardive de Kaïs Saïed après l’annonce de normalisation des relations entre Israël et des pays arabes. Pourquoi ?
Il est difficile d’imaginer la Tunisie, comme tout pays qui dépend de l’aide internationale, ouvrir un front contre les Emirats arabes unis. C’était plus facile pour Bourguiba, en 1982, d’agir en faveur de la Palestine. Aujourd’hui, il y a la pression des bailleurs de fonds.
Qu’a changé l’annonce de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël ?
Cette annonce a été une victoire pour Israël, le Maroc étant un pays important de la région et même du continent. Même si le Maroc avait déjà des relations, notamment commerciales, avec l’Etat hébreu. La normalisation des relations avec Israël par le Maroc, mais aussi par les Emirats arabes unis et Bahreïn, a permis de casser le consensus du monde arabe concernant la reconnaissance d’un Etat palestinien.
En Tunisie, un projet de loi pénalisant les relations politiques ou commerciales avec Israël a été rejeté, en 2012. Est-ce qu’une telle loi, réclamée aujourd’hui par Abdellatif Mekki, peut un jour être votée ?
C’est de la politique intérieure tunisienne. On ne peut pas demander à la Tunisie de se sacrifier pour la cause palestinienne, au détriment de son économie ou de ses relations diplomatiques. Les prises de positions courageuses de la Tunisie, la condamnation de la normalisation avec Israël et son soutien au peuple palestinien, c’est ça aujourd’hui le plus important.
A l’inverse, la Tunisie peut-elle rester sur sa ligne, quand on voit comment le Maroc a accepté de normaliser ses relations avec Israël ?
La pression des Etats-Unis et des bailleurs de fonds est forte, mais il existe un obstacle à la normalisation entre la Tunisie et Israël : la démocratie. On remarque que la normalisation avec Israël a été annoncée par des pays aux régimes autoritaires. Au Soudan, les Etats-Unis ont fait du chantage en demandant la reconnaissance d’Israël contre le retrait du Soudan de sa liste noire des pays soutenant le terrorisme et ils se sont entendus avec les militaires, au détriment de l’aile civile du pouvoir. En Tunisie, avec un fort soutien de l’opinion publique, il sera difficile pour n’importe quel président de normaliser ses relations avec Israël. Ce dernier ne peut normaliser ses relations qu’avec des dictatures.
En Occident, on a tendance à assimiler la lutte pour la Palestine à l’antisémitisme. La Tunisie est-elle antisémite ?
C’est une question délicate. Dans son livre « Les Arabes et la Shoah », le chercheur Gilbert Achcar montre l’évolution du sentiment antisémite chez les Arabes. Il y eu, à certains moments de l’histoire, de l’antisémitisme, comme en 1967 avec des émeutes anti-juives en Tunisie et au Maroc. Mais cela ne se traduit plus aujour’hui par des attaques contre la communauté juive. La preuve, le pèlerinage annuel de la Ghriba se passe généralement très bien. Certes, certains dans l’opinion assimilent parfois Israël aux juifs, mais c’est Israël qui, par sa politique et ses discours -, nous sommes l’État des juifs -, favorise cet amalgame et prend en otages les juifs du monde entier.
Les derniers événements qui se sont produits à Jérusalem vont-ils changer quelque chose quant aux relations entre Israël et les pays arabes ?
On a vu des manifestations au Maroc, mais on imagine mal le royaume revenir sur sa décision. Les derniers événements ont montré que la question israélo-palestinienne restait centrale pour les Arabes. Même l’Egypte a pris une position dure contre l’Etat hébreu. Pour l’Arabie saoudite et les pays du Golfe, il sera plus compliqué d’établir des relations avec Israël…