L’école, les élèves et les notes, voilà son domaine de prédilection pour que le président de la République Kaïs Saïed, qui a consacré sa carrière  à enseigner le droit ne s’en saisisse pas pour vilipender ceux qui osent noter le pays dont il est le président tout-puissant et désormais omnipotent.

Mais comme le chef d’état est aussi néophyte en économie et finances qu’il ne l’est dans plusieurs autres domaines, parler de la note souveraine et des institutions qui l’établissent comme il l’a fait, en prenant le ton de s’en moquer est au mieux révélateur de la méconnaissance des mécanismes qui sous-tendent les finances et l’économie dans un monde globalisé et interdépendant et au mieux absolument contre-productif.  Car de telles déclarations peuvent susciter la méfiance et engendrer une dépréciation de la note souveraine.

En fait la note souveraine n’est pas un luxe auquel un pays comme la Tunisie souscrit pour montrer qu’il s’inscrit dans l’économie et le finances de l’ère moderne.  Pour un pays endetté à hauteur quasiment de 100% de son PIB, ce qui est le cas de notre pays, nous ne pouvons pas échapper à l’investigation des agences de notation. En effet de par sa définition, la notation (rating) donne une opinion sur la capacité d’un émetteur, dans le cas d’espèce un pays à remplir ses obligations vis-à-vis de ses créanciers, à générer les paiements de capital et d’intérêts conformément à l’échéancier prévu. Les entités notées sont donc potentiellement tous les agents financiers ou non financiers émetteurs de dette : états, organismes publics ou semi-publics, établissements financiers, entreprises non financières.

Car pour souveraine qu’elle s’appelle, la notation est en fait réalisée par des organismes dits agences de notation qui sont étrangères. Trois agences internationales créées aux Etats Unis tiennent le haut du pavé. Il s’agit de Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings qui détiennent à elles seules environ 85% du marché. Une agence chinoise, celle-là, à savoir Dagong Global Credit Rating a été créée en 1994 pour casser ce quasi-monopole.

Les critères de notation

Si les agences de notation prennent en considération habituellement un grand nombre d’indicateurs économiques, financiers et politiques afin de déterminer la note d’un État, les principaux déterminants des notes souveraines ont sensiblement peu changé. Dans ce cadre, on dégage cinq grands critères « incontournables» : le produit intérieur brut (PIB) par habitant, la stabilité politique et institutionnelle, le niveau d’endettement, le respect par l’État de ses obligations financières au cours des années passées et le taux d’inflation.

Le PIB par habitant est très fortement corrélé à la notation souveraine. Par exemple, tous les pays notés dans les catégories supérieurs ont un PIB par habitant supérieur à 10 000 dollars. Le second critère a trait à la stabilité politique et institutionnelle. Fitch et Moody’s font explicitement référence dans leurs méthodologies aux indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale. La qualité des institutions publiques (government effectiveness), le respect des normes juridiques et la préservation de l’état de droit (rule of law), enfin la stabilité politique (political stability) sont tout particulièrement pris en compte.

Le troisième critère s’attache à l’analyse du niveau d’endettement public. A cet effet, les agences sont moins attachées au stock global de dette publique qu’à sa soutenabilité ; c’est pourquoi elles examinent les ratios de dette publique par rapport au PIB et de dette publique en lien avec les recettes budgétaires. Ce second ratio offre d’ailleurs une meilleure description de la situation financière du pays car il révèle la capacité de l’État à lever l’impôt. Le respect par l’État de ses obligations financières au cours des 20 années précédentes est un autre indicateur précieux, qui permet d’établir la réputation financière d’un pays. L’inflation est aussi un déterminant même s’il a partiellement perdu de sa significativité au cours de la décennie 2000, suite aux politiques désinflationnistes qui ont été menées dans de nombreux pays émergents. Deux critères supplémentaires sont pris en compte par les agences lorsqu’elles ont à noter les pays émergents et en développement : les réserves de change d’une part et les envois de fonds effectués par les travailleurs immigrés vers leur pays d’origine (workers’ remittances), d’autre part.

Les agences de notation même si elles sont réputées indépendantes, ne sont pas, néanmoins, dénuées de critiques. Mais les attaquer sans raison comme l’a fait le président de la République n’est pas admissible surtout pour un pays qui pour, clore son budget a besoin de crédits de plusieurs milliards de dollars par an. Kaïs Saïed   serait mieux inspiré de mettre en œuvre les critères qui sont de son autorité, à savoir la stabilité politique et institutionnelle. Il lui faut veiller à la constitution rapide du gouvernement et au retour à la situation normale dans les meilleurs délais ou tout du moins les plus opportuns, avec notamment la mise en place d’un Parlement de plein pouvoir, suite à d’élections législatives anticipées s’il n’est plus possible de revenir à la précédente ARP.

RBR