Par : Kamel Zaiem
Privée de voyage. C’est tout ce qu’on a trouvé pour sanctionner une juge accusée de complicité en matière de trafic de devises.
En pleine canicule, les Tunisiens, déjà épuisés par les perçants rayons solaires, viennent d’être secoués par une nouvelle affaire de trafic de devises. Certes, il ne s’agit pas d’un fait nouveau puisque de telles affaires sont même devenues des faits banals en l’absence d’un véritable Etat capable de faire respecter la loi et de punir les hors la loi, mais ce qui est frappant dans cette nouvelle affaire c’est que la mule, d’habitude utilisée pour le transport d’argent sans se faire repérer par la Douane, les gardes et la police, a été remplacée, cette fois-ci, par une femme-juge qui, à priori, s’adonne pendant son temps libre à un loisir très peu commun.
Ils ont le bras long
Certes, il va falloir attendre les détails de l’enquête pour pouvoir mieux juger, mais dans un pays comme le notre, devenu le fief favori pour les contrebandiers et les mafiosis, rien ne nous surprend désormais.
En Tunisie, ces criminels ont le bras long. Ils bénéficient de la protection de leurs complices au Parlement, devenu un lieu privilégié de corruption, une gangrène qui a touché quasiment tous les partis politiques présents sous l’hémicycle du Bardo et risque de faire des ravages avec la complicité indéniable de la la justice tunisienne complice indéniable de ces députés qui échappent à la loi prétextant leur immunité parlementaire.
Dans cette nouvelle affaire, nous n’aurons pas à évoquer l’immunité parlementaire, fraîchement balayée par les décisions présidentielles du 25 juillet 2021, puisqu’elle laisse la place, cette fois-ci, à l’immunité judiciaire. Après avoir vu de toutes les couleurs avec l’immunité des députés, auteurs de crimes et de dérapages incroyables, les Tunisiens vont devoir se soumettre, désormais, à un nouveau spectacle, celui des délits et des crimes perpétrés par des juges couverts par leur immunité dévastatrice.
Un secret de Polichinelle
En Tunisie, la corruption des juges est devenue, hélas, un secret de Polichinelle. Certes, nous ne pouvons pas mettre tout le monde dans un même sac, mais les faits sont là pour mettre en évidence une corruption née de l’étroite relation et de l’influence réciproque des pouvoirs législatif et judiciaire. Et il suffit de nous référer aux fameuses affaires des assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi pour mieux situer la gravité de ce rapprochement suspect des deux clans.
De même, les affaires des deux magistrats Béchir Akremi et Taïeb Rached sont bien là pour nous rappeler cette « lâche » complicité, génératrice d’un climat de totale impunité pour tous ces criminels qui pensent être intouchables, là où ils passent.
Et puisqu’on parle du corps magistral, et sans prétendre que tous nos juges sont sur le banc des accusés, force est de reconnaître que certains, parmi les corrompus, sont en train de salir la réputation de toute la corporation. Car, ce qui s’est passé dans cette affaire de trafic de devises, reflète un corporatisme extrême et détourné qui peut être considéré comme une autre forme de corruption. Car, qu’on le veuille ou pas, rien qui justifie que l’on laisse partir tout de suite une personne ayant une telle somme d’argent à l’origine inconnue après des aveux complets, comme insistent à le rappeler les services de la Douane.
Une mule bien pistonnée
Or, selon l’article 114 de la loi organique n°2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent, rien ne justifie la mise en liberté de cette juge qui venait de reconnaître son crime. L’article 104 de la constitution le confirme : « Le magistrat bénéficie d’une immunité pénale, il ne peut être poursuivi ou arrêté tant qu’elle n’a pas été levée. En cas de flagrant délit d’infraction, il peut être arrêté et le Conseil de la magistrature dont il relève décide de la suite à donner à la demande de levée de l’immunité ». C’est dire que cette juge aurait dû être incarcérée en attendant la suite de l’affaire et le fait de la laisser partir ne peut que toucher à la crédibilité et à la réputation des services de la Douane, mobilisés pour protéger le pays contre ces mafias qui ont pu infiltrer tous les rouages de l’Etat, y compris celui de la justice.
D’ailleurs, cette mafia se permet de remplacer la mule par une juge et non par n’importe qui. Et le fait qu’elle utilise une juge pour cette tâche donne une idée sur son imposante structure et son organigramme.
Aujourd’hui, les Tunisiens espèrent bien voir Kaïs Saïed parvenir à assainir le paysage politique et couper les ponts entre ces corporations corrompues, mais pour y parvenir, il aura besoin de s’appuyer sur une magistrature propre, forte et réactive. Et nous sommes tous tenus d’y contribuer pour nous débarrasser de cette maudite pieuvre.