Par Kamel Zaiem
Encore une fois un incident vient nous rappeler que la relation citoyen-police demeure critique et fragile et que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge.
Plus de dix ans après la chute de Ben Ali, la police suscite toujours autant de méfiance chez les citoyens, et bien que les forces de l’ordre aient depuis fait acte de contrition, les rancœurs demeurent tenaces. On a beau parler de police républicaine, mais en pratique, la notion de police républicaine est floue même si les hauts responsables de sécurité insistent sur le fait de laisser les forces de l’ordre évoluer à distance des tiraillements politiques, pour espérer fonder une nouvelle relation avec les citoyens et les organisations civiles.
Une fracture encore ouverte
Épidémie de Covid-19, couvre-feu, maintien depuis 2015 de l’état d’urgence, revendications sociales à n’en plus finir : les forces de l’ordre ont pour mission d’éviter les escalades de violence et de maintenir sous contrôle une insécurité devenue globale et polymorphe. Or, rapprocher la police et les citoyens, ou plutôt réduire une fracture ouverte installée par les précédents régimes, n’est pas simple.
Ce qui s’est passé ces derniers jours à Sidi Hassine ne peut que témoigner de la difficulté à mettre en place une réelle police républicaine. Avec un ministre de l’Intérieur opposé, de par ses relations privilégiées avec sa ceinture politique au Parlement, à tout ce qui touche à ses alliés, l’équilibre recherché donne l’impression de devenir encore plus difficile à assurer.
Critiques de plus en plus vives
C’est que chaque incident d ‘une telle gravité, et ils commencent à devenir de plus en plus fréquents, fait réagir encore plus fortement les composantes de la société civile, comme c’est le cas pour l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) qui a dénoncé les agressions qui ont atteint l’intégrité physique, morale et la dignité de la victime, en insinuant que ces crimes nous font revenir à l’époque de la dictature et a appelé dans un communiqué publié sur sa page officielle le ministère public près du Tribunal de première instance Tunis 2 à accélérer les procédures judiciaires relatives aux enquêtes sur les policiers impliqués dans l’affaire Sidi Hassine. L’AMT a même appelé Hichem Mechichi à assumer ses responsabilités face à la violence et aux dépassements policiers perpétrés contre les citoyens, considérant cela comme une atteinte à la loi et la constitution.
Les réactions ont fusé de partout et des structures aussi prestigieuses que l’UGTT et certaines ONG de notoriété internationale n’ont pas ménagé leurs critiques envers le ministère de l’Intérieur, le ministre lui-même qui n’est autre que le chef du gouvernement et les policiers qui se croient encore bénéficier de la même impunité d’il y a plus de dix ans.
La fuite en avant
Et comme l’a signalé La LTDH, ces incidents font craindre le pire tant que le gouvernement continue sa fuite en avant en évitant de sanctionner durement tous ceux qui dépassent les limites de la loi, que ce soit dans les rangs des policiers que celui de tous les autres citoyens : « La Ligue dénonce les violences policière exercées à l’encontre des citoyens et le chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur par intérim Hichem Mechichi doit assumer sa responsabilité face à ces actes car le silence suspect du gouvernement prouve l’adoption d’une politique qui encourage les violences et l’impunité.
Dès lors, comment assurer cet équilibre entre la mise en place d’une sécurité qui permet à tous de vivre en paix et de ne plus craindre le pire au moindre incident et l’assurance de compter réellement sur une police républicaine qui doit, en premier lieu, respecter le citoyen et ses droits ?
Changer pour avancer
Pour y arriver, il va falloir que tout le monde s’y mette, ce qui n’est point aisé au moment où l’instabilité politique fait des ravages, le pouvoir absolu de certains lobbies fait fi des droits et des règlements en vigueur et où les policiers eux-mêmes se trouvent divisés au gré de leurs nombreux syndicats dont certains font la pluie et le beau temps au ministère de l’Intérieur.
Cette dernière affaire de Sidi Hassine risque même de faire basculer certains faux équilibres au sein du pouvoir. Le chef du gouvernement ne fait plus l’unanimité, même au sein de sa ceinture politique et sa présence à la tête du ministère de l’Intérieur est en train d’être de plus en plus contestée. C’est dire que dans une telle situation, l’équilibre espéré sera très difficile à trouver et qu’il va falloir changer les noms et les mentalités pour y parvenir.
La leçon sera-t-elle, cette fois-ci, retenue ? Rien n’est… moins sûr.