Par Kamel Zaïem
On peut avancer, sans risque de nous tromper, que chez nos politiciens de fortune, le ridicule ne tue plus. Et rien qu’à suivre ce qui se passe sous le toit de l’hémicycle du Bardo, on perd la tête dès qu’on aspire à mieux comprendre.
C’est que la Tunisie, qui est allée supplier le FMI de lui venir en aide et lui promettre de se montrer disciplinée et soucieuse d’appliquer les recommandations de cet organisme international de financement, s’est vite replongée dans ses travers et ses curieuses pratiques plus populistes que jamais.
Mardi dernier, l’ARP a adopté une loi proposée par le mouvement Achaâb. Une loi portant sur la régularisation de la situation, c’est-à-dire, le recrutement dans la fonction publique, de pas moins de 25 000 ouvriers des chantiers.
D’après les experts et les observateurs indépendants, cette loi tombe très mal, puisqu’elle remet en question les recommandations des bailleurs de fonds et les engagements du gouvernement tunisien, dans le sens de la maîtrise de la masse salariale et le dégraissement des effectifs dans la fonction publique qui alourdit fortement les dépenses de l’Etat. D’ailleurs, c’est l’une des conditions posées pour l’obtention de crédits du FMI.
Quelles intentions pour « Achâab » ?
Pour ces mêmes observateurs, la question qui revient aux esprits est on ne peut plus « vicieuse » : et si le mouvement Achaâb, qui ne cache pas son soutien au président de la République, et, donc, sa farouche opposition au gouvernement et à sa ceinture politique, l’a fait exprès pour mettre un cheveu dans la soupe des négociations du gouvernement avec le FMI !
Pour un parti politique qui ne reculera devant rien pour brûler les cartes de Mechichi dans sa transaction avec le FMI, une telle interrogation n’est pas à mettre dans un sac d’oubliettes.
Ce qui intrigue le plus, c’est de voir les autres partis, en particulier Ennahdha et ses alliés, qui forment cette fameuse ceinture politique du chef du gouvernement, adhérer à cette proposition et voter clairement pour de façon à l’adopter avec une écrasante majorité.
Le beurre et l’argent du beurre
Certes, le sujet est assez délicat et il figure en tête des revendications populaires, s’agissant finalement de 25 mille familles à satisfaire et à rassurer, mais ce qui s’est passé en ces jours critiques et déterminants pour la suite des négociations avec le FMI prouve que nos politiciens, jamais habitués à composer avec la sagesse et la logique, tiennent à avoir le beurre et l’argent du beurre. Ils espèrent glaner l’accord du FMI pour sauver les meubles et éviter une faillite économique de plus en plus menaçante, mais ils ne perdent pas de vue, également, les futurs effets positifs d’une telle action sur le processus électoral, s’agissant d’une importante masse populaire qui pourrait modifier les données au moment du décompte final des prochains rendez-vous électoraux.
Tout cela nous ramène au plan de réforme que le Chef du gouvernement et le gouverneur de la Banque centrale, ont défendu à Washington, dans l’espoir d’obtenir l’approbation d’un prêt de 4 milliards de dollars sur trois ans. Nulle part dans ce document il n’y a d’indication de réflexion stratégique ou prospective pour une économie très malade. Il n’y a nulle part d’indication des politiques détaillées nécessaires pour atteindre les objectifs majeurs qui éviteraient au pays le chaos et la faillite. La délégation tunisienne a choisi d’agir en catimini, sans aucun souci de consulter toutes les parties prenantes de la sphère économique et de la société civile et le gouvernement va devoir préparer ses futures acrobaties pour s’en sortir.
Inquiétante inconscience
Avec une dette à 100% du PIB, un taux de croissance de -8,8% en 2020, et un déficit budgétaire monstre de 11,4%, toute sortie du gouvernement sur le marché financier international pour mobiliser des fonds risque d’échouer et ne peut donc être une alternative à l’accord sur un programme avec le FMI qui demande au gouvernement Mechichi un programme concret avec un agenda précis pour négocier un éventuel financement selon des conditions sévères cette fois-ci.
C’est ce qui ressort des propos de Marouen Abassi, le gouverneur de la BCT qui a également précisé que le financement du budget de l’Etat par la Banque centrale est impossible car il aura pour conséquence de rendre l’inflation incontrôlable pouvant atteindre jusqu’à trois chiffres, avec le risque de voir la Tunisie glisser vers un scénario vénézuélien où règne, malheureusement, une hyperinflation monstre.
Comment va-t-on, dès lors, y parvenir avec un gouvernement nonchalant et hésitant et un Parlement inconscient des dangers de ses dérives et de ses dérapages à répétition ?
La réponse risque de tarder et de mettre à nu une politique saugrenue et périlleuse qui ne colle plus à la dure réalité d’aujourd’hui…