Par Soufiane Ben Farhat

Cela devient franchement pathétique. En fait, l’on se demande : dans quel type de République vivons-nous ? Chaque jour apporte son lot de tristes nouvelles et de navrantes manœuvres. Visiblement, la féodalité politique l’emporte. L’Etat est sectionné en territoires antagoniques. Une vieille tradition héritée de l’ère des grands bouleversements à l’époque des dynasties mouradite et husseinite (16e et début du 17ème siècles). Ainsi fut le cas du traité signé, le 16 décembre 1710, au nom de « l’Empereur de France (Louis XIV) et des Pacha, Bey, Dey, Divan, autres Puissances et Milice de la ville et du royaume de Tunis ». Tant que ça !

Pas plus tard qu’hier, M. Kaïs Saïed, président de la République, a reçu au palais de Carthage MM. Hichem Mechichi et Brahim Bartagi, respectivement chef du gouvernement et ministre de La Défense. De nouveau, déballage en public, douze minutes durant dans une vidéo, des dissensions au sommet de l’Etat.

La république des crises

On n’en est même pas à la tristement célèbre quatrième République française, surnommée la République des crises. Qu’on se souvienne. De la démission du général de Gaulle en janvier 1946 à son retour aux affaires en 1958, vingt quatre gouvernements se sont succédé en France à l’issue de vingt deux crises ministérielles. En revanche, chez nous, c’est plutôt une crise structurelle, depuis les élections de l’automne 2019. L’interprétation fallacieuse, dans la pratique, de la Constitution de 2014 a institué une espèce de déséquilibre permanent en consacrant trois présidences qui, à défaut de se neutraliser, s’entredéchirent en permanence.

Trois principautés

Ça a tout l’air de véritables principautés sans nom. Ou du moins de fiefs et baronneries où chacun agit à sa guise. Pire, chacun crie au loup. En effet, depuis quelques jours, on parle de documents fuités faisant état d’une tentative de coup d’Etat constitutionnel de la part du président Kaïs Saïed. Ennahdha, ses alliés et ses milices facebookiennes et numériques le ressassent à longueur de journées.

Et bien que les médias en aient fait largement l’écho, en Tunisie et à l’étranger, l’autisaiçsine de la justice tunisienne fait encore défaut. Pourtant, les accusations sont lourdes et les auteurs du document prétendument fuités agissent au grand jour.

Atmosphère viciée et plombée

Évidemment, la classe politique aux commandes des affaires s’en soucie comme d’une guigne. En revanche, elle alimente les polémiques, les préventions douteuses et n’en finit pas de vicier la donne.

Le remaniement ministériel des 16 janvier 2021 n’a toujours pas été cautionné par le chef de l’Etat. Pourtant, il porte sur dix ministères sur les vingt huit que compte le gouvernement. Du coup, huit ministères, dont deux régaliens, officient encore par intérim. De son côté, la majorité parlementaire est en guerre ouverte avec le président de la République. On en est au stade insultes, injures, diffamation et invectives dans les interventions des parlementaires en séance plénière. La même majorité compte un très grand nombre des vingt-cinq parlementaires dont la levée de l’immunité pour crimes et délits graves est vainement réclamée par la Justice. L’un de ces parlementaires, faisant l’objet d’un mandat d’amener par le parquet, est toujours en cavale.

La plus grave crise économique depuis 1962

Pourtant, nous faisons face à une grave crise économique, la plus grave depuis des décennies. Le seul PIB enregistre un recul net de 12 % aux dires du gouverneur de la Banque centrale vendredi dernier au Parlement. Une première depuis 1962. Et encore, à l’époque le recul était beaucoup moins prononcé. D’un autre côté, les négociations avec le FMI ne nous laissent guère de marge de manœuvre honorable, à moins d’un profil politique stable qui pourrait prétendre limiter temporairement les dégâts.

En fait, qu’il s’agisse de l’appréciation du FMI ou des agences de notation souveraine, l’économie politique intervient à charge de 50 %. Autant dire que l’atmosphère politique actuelle en rajoute au marasme et à la relégation dans la case infâme.

Et dire que tout ce beau monde prétend parler et agir au nom de la démocratie et du système prétendument alternatif à l’ancien régime ! En fait, de tout temps, les sociétés se constituent en refoulant la tentation du chaos. Chez nous, c’est le contraire qui sévit. « L’Etat, disait Kant, est une communauté de volontés impures sous une règle commune ». Sous nos cieux, les volontés impures foisonnent, la règle commune se dissout.

S.B.F