L’ONG Human Rights Watch dénonce dans un communiqué le flou qui entoure les arrestations d’épouses de membres présumés de l’organisation Etat islamique. Mi-mars, 10 femmes et 14 enfants détenus dans des prisons en Libye ont fait leur retour en Tunisie.
En 2019, l’organisation Etat islamique perdait du terrain en Syrie. La Tunisie fut l’un des principaux pourvoyeurs de l’organisation terroriste, que ce soit en Irak ou en Syrie. Alors, lorsque l’Etat islamique se trouva mal en point, la question du retour se posa : selon Mathieu Guidère, auteur de « L’Atlas du terrorisme islamiste », qui répondait à une interview fin 2020, « 1 500 combattants tunisiens sont rentrés au pays ». Selon l’universitaire français, « les deux-tiers ont été emprisonnés, mais il en est resté un tiers dans la nature ». La délicate question du retour des terroristes en Tunisie s’est posée un an auparavant : au moment de la dernière présidentielle, les candidats avaient soigneusement évité le sujet. D’autant que l’on ne dispose que de peu de chiffres sérieux sur la question. Loin des estimations de Mathieu Guidère, on dénombre en effet entre 3 500 et 6 000 Tunisiens qui seraient partis combattre aux côtés des différentes organisations terroristes.
Des femmes emprisonnées et abandonnées
Si la question du retour des terroristes est donc soigneusement contournée, celle sur le retour de leurs épouses et enfants se pose un peu plus sérieusement. En 2019, le ministère tunisien de la Femme et de l’Enfance affirmait que « 200 femmes et 100 enfants se réclamant de nationalité tunisienne » étaient détenus à l’étranger sans inculpation. Des chiffres là encore très approximatifs. Seule certitude : à l’époque, plusieurs femmes avaient tenté de revenir à Tunis en passant par le consulat de Tunisie à Istanbul. Car pour fouler à nouveau le sol tunisien, les familles de combattants de l’Etat islamique n’ont pu compter que sur le système D. « Les préoccupations légitimes portant sur la sécurité ne donnent pas aux gouvernements le droit d’abandonner leurs ressortissants, notamment les jeunes enfants, détenus à l’étranger sans inculpation, dans des prisons et des camps sordides », estimait Letta Tayler, chercheuse senior sur les questions liées à la lutte antiterroriste à Human Rights Watch.
Du côté du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits Humains, on indique que « les membres des familles des jihadistes capturés ou tués en Syrie et en Irak doivent être rapatriés, à moins qu’ils ne soient poursuivis pour des crimes ». Près de deux ans plus tard, ce sont les conditions de détention des femmes de terroristes qui continuent d’animer le débat. Là où l’ONU estime que « le maintien en détention de personnes qui ne sont pas soupçonnées de crimes, en l’absence de fondement légal et d’un contrôle judiciaire indépendant régulier, n’est pas acceptable », HRW vient de publier un long plaidoyer en faveur d’un meilleur traitement de ces « revenantes ». A ces femmes de membres de l’Etat islamique, « il faut leur assurer un traitement humain, des procédures régulières et des soins médicaux », écrit l’ONG.
Pas de ligne politique claire sur le sujet
L’organisation non gouvernementale assure d’ailleurs que les femmes d’hommes soupçonnés d’être des membres de l’EI ont été placées en détention et, pour certaines, « ont subi des abus, ont contracté le Covid-19 et se sont vu refuser leurs droits fondamentaux ». Rien qu’entre le 11 et le 18 mars 2021, les autorités tunisiennes ont, assure HRW, rapatrié 10 femmes et 14 enfants qui étaient détenus dans des prisons en Libye. Certaines familles ont été détenues pendant plus de cinq ans. « Le fondement juridique de la garde à vue prolongée de ces femmes sans inculpation est la Loi tunisienne de 2015 relative à la lutte contre le terrorisme, qui allonge la période légale de détention au secret de 6 jours à un maximum de 15 jours pour les personnes soupçonnées de terrorisme, permet aux tribunaux de tenir leurs audiences à huis clos et autorise les témoins à ne pas révéler leur identité aux prévenus », conclut HW.
Plus de cinq ans après les premiers retours, la Tunisie continue de se poser des questions. Jusqu’à aujourd’hui, l’État tunisien n’a adopté aucune politique claire concernant le rapatriement de ces « revenantes ». Ni concernant celui des enfants. « Il n’y a pas une véritable volonté de rapatrier ces enfants, notamment parce que la confusion entre djihadistes et enfants persiste. On ne se rend pas compte que les enfants sont avant tout des victimes », indiquait en 2020 au Monde Anouar Ouled Ali, avocat et responsable de l’Observatoire tunisien des droits et des libertés. Les politiques ont-ils vraiment envie d’adopter une politique plus claire ? Pas évident, car l’opinion publique semble à fleur de peau sur ce sujet. En janvier 2020, Kaïs Saïed avait reçu les orphelins des combattants de l’Etat islamique. Il avait alors déclaré que « ce sont des enfants innocents et les efforts déployés pour leur rapatriement sont énormes ». Malgré les réticences de la part du peuple tunisien, pas vraiment impatient de revoir les femmes et enfants des combattants de l’Etat islamique.